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jeudi 3 juin 2021

Confidences Chapitre 2 : se prendre les pieds dans le tapis et survivre grâce à la main du mort

Voici venu le moment de livrer une nouvelle confidence embarrassante relative à mon parcours de joueur : celle des coups de chance incroyables en payant involontairement des tapis adverses. Cela m'est arrivé à deux moments marquants : une fois en live au Barrière Poker Tour de Toulouse, et une fois en ligne le soir où j'ai gagné un tournoi d'importance en empochant quelques milliers d'euros. Payer un gros tapis adverse avec une main marginale à un moment clef d'un tournoi, ce n'est pas tous les jours que cela arrive. En principe cela ne doit JAMAIS arriver. Mais malheureusement impossible d'être dans une vigilance extrême à chaque instant, et vient invariablement le moment où survient l'erreur d'inattention qui coûte cher. Du moins en principe. Car dans les deux cas de figure que je vais ici décrire, l'erreur d'inattention m'aura rapporté gros au lieu de me pénaliser. Avec une main tabou au poker, qui plus est (A8). Cherchez l'erreur !

1 / Barrière Poker Tour de Toulouse. Un soir de juin. 

A l'époque je m'étais qualifié quasi-gratuitement en ligne via EuroPoker. Tournoi à 570 € l'entrée. Environ 400 entrées pour 50 places payées. 36.000 € sont promis au vainqueur.  Alors que nous terminons la seconde journée de compétition et que les places payées se profilent à l'horizon, il doit rester environ 70 joueurs fatigués encore en course en ce samedi soir. 

Il est minuit passé, je suis confortablement installé à ma table avec un stack bien supérieur à la moyenne (de mémoire autour de 75 ou 80 blindes) et je mets la pression sur les bonnes cibles à une table de joueurs en mode défensif, dont le niveau moyen est étonnamment faiblard. Tout baigne pour moi. Jusqu'à ce moment précis où muni d'un As et d'un 8 en milieu de parole, je me retrouver à prononcer le mot "relance"... sans avoir vu qu'un joueur que je sais compétent vient de pousser son tapis d'une vingtaine de blindes en premier de parole sans piper mot. La croupière a failli à sa mission d'annoncer ledit tapis audiblement car il y a un peu de brouhaha autour de la table. Et là, constatant ma bévue et comprenant qu'il n'est plus possible de faire marche arrière, je dispose alors de quatre à cinq secondes pour m'inventer une contenance de vainqueur et gommer mon début de fébrilité, sachant qu'il y a encore 4 joueurs qui doivent parler après moi avec des tapis autrement plus conséquents et que je suis condamné par la croupière à devoir mettre sur la table 35 ou 40 blindes avec une main aussi moisie que A8 dépareillés. Fort heureusement, tout le monde passe sagement et je me retrouve en duel avec le joueur qui a poussé son tapis en premier de parole... quoi qu'il arrive, la perte de ce coup ne sera pas dramatique. Juste gênante.

Il a AK. J'ai A8. Ca me donne à peine 25% de chances de remporter le coup. Je m'attends à perdre ce coup. Parce que je suis statistiquement en mauvaise posture. Mais aussi parce que je n'ai pas vigilant et que je mérite d'être puni. Pourtant, au poker le mérite est un concept approximatif : j'ai la chance de voir tomber un huit au flop et d'éliminer le joueur mutique après avoir payé son tapis sans le vouloir. Ce surplus de chance - et de blindes - me permettra le lendemain dimanche de jouer relâché, sans la moindre peur du fait de l'extrême profondeur de mon stack, ce qui au final me permettra d'aller loin dans le tournoi - jusqu'aux portes de la table finale - et de repartir de Toulouse avec quelques jolis billets violets de 500 euros.

ô Toulouse

2 / Un soir de décembre peu après Noël.

Un soir comme un autre, où je me retrouve à multi-tabler en ligne derrière mon écran d'ordinateur. A ceci près que ce soir-là je joue un ticket gagné lors d'un challenge communautaire et que je participe à un tournoi dont le droit d'entrée est plus élevé que mes standards habituels. Là encore, je vais manquer de vigilance en ne remarquant pas d'entrée de jeu qu'il n'y a pas de joueur de petite blinde à ma table de 6-max et que le premier de parole a déjà mis des jetons sur la table au moyen d'une relance musclée de trois blindes car un trop rapide survol de la table me fait croire qu'il est de grosse blinde (et que le joueur effectivement de grosse blinde est de petite blinde). Car c'est un soir de veine pour moi : à ce moment-là, je suis encore en course dans pas mal de tournois alors qu'il est passé minuit. Tout comme au BPT Toulouse, j'ai As-Huit en main. Les places payées ont déjà été atteintes depuis un bon moment et on approche de la table finale, il doit rester moins d'une quinzaine de joueurs en course et les paliers de gains commencent à devenir intéressants... d'autant qu'il y a très peu de profondeur, les tapis moyens oscillant autour des 20 blindes. 

Là encore je me retrouve à appuyer malencontreusement sur le bouton "relance"... ce qui fait que je me retrouve engagé mathématiquement - c'est à dire commit - lorsque le joueur qui a effectué la relance initiale me revient dessus et pousse son tapis. Je paye en sachant que je suis dominé. Je sais que j'ai commis une bourde par manque de vigilance. Mais je suis prêt à en payer le prix. Dans tous les sens du terme, d'ailleurs. On a des tapis équivalents lui et moi (nous sommes tous les deux dans la moyenne). Il as les Dames en main et je ne suis pas du tout étonné. Sauf qu'un as tombe à la river et que c'est mon adversaire qui se retrouve destacké tandis que je double grâce à l'intercession divine de Dame Chance qui me fait passer ce 30/70. Pire encore, remporter ce coup me propulse vers les sommets et dès lors je vais ensuite martyriser mes adversaires, au point de remporter ce tournoi et d'empocher un gain à quatre chiffres en une seule soirée.

Il n'y a pas à dire. Disposer d'un gros tapis lorsque se profile une table finale, ça aide. Mais c'est bien le coup de pouce initial du destin qui fait toute la différence. Dans les secondes qui ont suivi ma victoire, j'ai eu une pensée émue pour ce malheureux joueur que j'avais détroussé en ayant été contraint de payer son tapis sans le vouloir une petite heure plus tôt.

Dans les deux cas ici relatés j'ai indirectement gagné beaucoup avec cette main A8 qui sent le souffre alors pourtant que je ne méritais rien. Mais il y a tous les cas de figure inverse... les fois où l'on commet une bévue et où l'on est aussitôt puni. Et les fois où c'est l'adversaire qui fait preuve d'inattention et qui est injustement récompensé, me laissant penaud pour toute la fin de soirée face à un bad beat final au goût amer. Avec le recul je me dis que tout n'est au final qu'affaire de souvenirs. Il y a les histoires anodines que l'on oublie. Et celles plus croustillantes qu'on garde en mémoire. De la morale dans cette histoire, il n'y en a guère.

Je ne suis pas superstitieux. Pourtant, dans un coin de ma tête je me dis que Dame chance a de l'as-huit dans les idées me concernant. Qu'on se le dise !

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