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lundi 9 octobre 2017

3 fois de suite la main même en tournoi : le syndrôme de Cassandre

Il y a deux ans, lorsque je me suis qualifié pour le Monster Stack des WSOP de Las Vegas, il y avait à ma table un joueur américain aux tempes grisonnantes et aux doigts boudinés, pas très bon techniquement, qui s'est plaint toute la journée de recevoir pléthore de mains similaires, à base d'as suités... Je crois déjà en avoir touché quelques mots sur ce blog précédemment. Une demi-douzaine d'heures durant, ce joueur qui avait le profil idoine de l'américain moyen, n'a pas cessé de rouspéter sur le fait que le croupier lui faisait des fausses joies en lui accordant un as jamais assez bien accompagné à ses yeux par une seconde carte de la même famille suffisamment élevée à ses yeux. Peu importe que le croupier fût changé plusieurs fois au cours de la journée. Je me souviens avoir intérieurement pesté contre ses moues dubitatives tandis que je connaissais moi-même une longue traversée du désert avec des mains toutes plus moisies les unes que les autres. De ce que j'en ai vu, il les a plutôt mal jouées, ses mains constituées d'un as un et d'un petit kicker assorti, à la manière d'un oligarque russe faisant le difficile devant des mets pourtant raffinés dont le seul défaut véritable est d'être inconnus de ses papilles gustatives et de son palais de rustre parvenu.

Je ne suis pas fétichiste des cartes. J'ai foi en l'implacable et impersonnelle logique des nombres ainsi qu'en la neutralité froide et absolue des probabilités. Mais il subsiste toujours en moi une infime part d'irrationnel, inaudible écho qui résonne parfois étrangement un bref instant dans les tréfonds de mon être. Car je crois aussi en la force des symboles, sachant que cela contribue indirectement à magnifier les histoires parfois un peu trop banales. Or, j'aime les belles histoires.

Hier soir, j'ai vécu en tant que cobaye incrédule une étrange situation lors de l'un de mes tournois de Texas Hold'em en format 6-max. Alors que nous étions déjà dans les places payées depuis un bon bout de temps et que se profilaient à l'horizon des gains plus substantiels, j'ai reçu trois fois la même même d'affilée. Il ne s'est pas écoulé plus de deux minutes entre ces trois Roi-Valet de suite, d'autant qu'il y a eu très peu d'action à la table dans les trois cas : tout juste un petit flop m'ayant permis de gagner le premier de ces trois pots. Sur le plan statistique, la probabilité de recevoir trois fois de suite la même main au Texas Hold'em est infinitésimale ; mais à force de jouer des milliers de mains tous les soirs, cela doit bien finir par arriver, inévitablement ou presque ; il n'y a rien de magique là-dedans. C'est la loi des grands nombres.

Recevoir trois fois de suite Roi-Valet, la belle affaire... Pas de quoi fouetter un chat. Surtout qu'il s'agit d'une main de départ plus sexy en apparence qu'elle ne l'est en réalité. Tout ceci aurait donc pu rester anecdotique, si ce n'est qu'à ce moment-là, je me souviens parfaitement m'être dit qu'il s'agissait probablement d'un signe du destin et que la prochaine fois que je recevrais cette main il me faudrait peut-être me méfier. Avertissement de dame chance ou simple hasard ? Du fait qu'il y ait de l'action à mes autres tables et que quelques minutes (15 ou 20 tout au plus) se soient écoulées entretemps, je n'ai plus du tout prêté attention à cette anomalie statistique ni à cette prémonition facétieuse que je venais de me fabriquer moi-même. Las ! J'aurais peut-être dû. Car à la faveur d'une nouvelle main Roi-Valet reçue quelques minutes plus tard dans ce même tournoi, je me suis fait éliminer assez injustement. Avec un impact financier non neutre sachant qu'on approchait alors des places plus grassement rétribuées. Mon adversaire me pousse à tapis overpot alors que j'ai fait une mise de continuation (continuation bet). N'étant pas mathématiquement engagé (commit) dans le pot, j'ai donc à ce moment-là la liberté de choisir mon action entre payer ou passer. C'est au regard du profil très offensif du joueur en face que je choisis de payer. Mal m'en a pris, puisqu'il possédait un tirage quinte par les deux bouts et qu'il touche à la river un roi qui vient me crucifier. Sur l'instant, j'avoue ne pas avoir fait le lien avec la pseudo-prémonition que je m'étais montée en épingle quelques minutes plus tôt. Et c'est tant mieux.

Au poker encore plus qu'ailleurs, j'estime qu'il ne faut pas surtout pas écouter les voix de Cassandre : à voir des traquenards partout, on a tôt fait de sombrer dans le tilt passif, cet état mental friable qui plonge certains joueurs dans un négativisme les empêchant de saisir les opportunités (c'est à dire les bons spots), rendant leur jeu atone, et donc improductif.

Après coup, ce petit pied de nez que m'a adressé le Dieu du Poker a aussitôt refait surface dans ma mémoire, et c'est alors que cette élimination quelque peu injuste sur le plan statistique (perdre un 64/36) a trouvé tout son sens sur le plan mystique !! Grâce à ce tour de passe passe du destin, j'ai perdu avec le sourire. Et ça m'a permis de finir ma session du soir empli d'ondes positives, sans détériorer le moins du monde mon niveau de jeu. Le poker est un jeu fait d'opportunités qui se renouvellent sans cesse : une de perdue, dix de retrouvées.




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