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samedi 30 mars 2019

Passion et déraison

Le poker constitue un chouette divertissement. Pour le plus grand nombre, s'adonner à ce jeu consiste juste à passer un bon moment en y laissant éventuellement quelques plumes, mais rien de plus, à l'image d'un badaud qui décide de se donner un peu de bon temps à une fête foraine. Un petit plaisir anodin parmi une multitude d'autres activités ludiques et sociales possibles immédiatement à portée de main. Mais pour les plus passionnés, jouer au poker devient une toute autre affaire : on s'y raconte des histoires intenses par l'intermédiaire des cartes. De belles histoires lorsque l'on gagne. De tragiques histoires lorsque l'on perd plus que de raison. Je ne suis pas loin de penser que pour ceux qui se passionnent pour ce jeu, les belles histoires sont somme toute assez rares.

Depuis quelques temps, je me suis mis à suivre à distance les mésaventures d'un joueur de poker lambda qui streame via son smartphone ses séances en live (que l'on peut retrouver en replay sur la plateforme Youtube). Il s'agit d'un joueur subjugué par les formats de type Expresso et autres Spin&Go. Ces formats de jeu ont la particularité d'être hyper addictifs et soumis à une forte variance. Son style bien à lui et ses déboires récents lui ont valu quelques échos jusque sur les forums spécialisés, et c'est d'ailleurs de cette manière-là que j'ai eu vent de son existence. Car il se trouve justement que le streameur en herbe est de type sanguin, et c'est mi-amusé mi-contrit que j'ai pu observer tel un ethnologue en herbe quelques échantillons de son comportement et de son attitude lorsqu'il joue (langage, intonation, gestuelle, évolution mentale en cours de séance...) : sans me prononcer sur son niveau de jeu, je me contenterai de dire ici qu'il s'agit donc d'un joueur passionné qui engage des sommes conséquentes d'année en année sous les yeux de sa micro-communauté de suiveurs. Mais surtout, il s'agit de quelqu'un qui sur-réagit lorsque la variance vient le titiller avec trop d'insistance. 

On le sait tous, le revers de la médaille d'une passion c'est qu'en sus de la joie qu'elle peut procurer, elle crée également un état mental et affectif très fort, tant et si bien que celui qui en est atteint perd également au passage une grande partie de sa lucidité. Lorsque le contrôle de la situation lui échappe, les dommages collatéraux peuvent être importants. S'agissant de notre streameur de Spin&Go ses réactions excessives dans les moments difficiles interpellent. Ses invectives fusent. Sans filtre. Tout le monde y passe et les noms d'oiseau fleurissent, que ce soit pour ses adversaires jugés trop mauvais, la malchance qui s'acharne sur lui sans raison, voire son infortunée compagne qui a le malheur de passer dans la pièce à ce moment-là, ou bien encore les quelques followers qui ont l'idée saugrenue d'émettre la moindre critique (qu'elle soit ironique ou même constructive) sur les réseaux sociaux.

Mais après avoir fini de blâmer la terre entière, on se retrouve vite à devoir se maudire tout seul. Ayant eu des mots très durs contre lui-même lors de certains de ces streams, voilà que le service client de l'une des plateformes poker s'est intéressé aux errements de ce joueur (qui baignait dans un total anonymat depuis des années), au point même de suspendre son compte en vertu de sa politique de jeu responsable... Inutile de dire que le service client en question en a également pris pour son grade a posteriori. Et pourtant, il s'agit en l'espèce de la part dudit service client d'une mesure potentiellement salvatrice pour le joueur face à un début de comportement auto-destructeur d'un homme diminué, aveuglé par les effets pervers de sa passion dévorante.

Les tribulations de ce joueur lambda m'ont quoi qu'il en soit fait longuement réfléchir. Aussi exaltant soit-il, le poker n'est qu'un simple jeu, et ne doit en aucun cas faire perdre aux uns et aux autres le contrôle de leur vie. Les garde-fous extérieurs existent, et le législateur a anticipé le problème en érigeant le dogme du jeu responsable. Mais c'est surtout dans notre entourage que l'on trouvera le plus facilement le moyen de relativiser les excès provoqués par la passion pour le poker.

Se retrouver avec un compte poker gelé ne constitue pas la fin du monde. Bien au contraire, une coupure prolongée - voulue ou subie - peut permettre au joueur impacté de respirer un coup, de s'ôter temporairement une partie de la pression qu'il s'est mise sur les épaules afin d'être à la hauteur de sa passion pour ce jeu et d'ainsi pouvoir aller explorer d'autres facettes trépidantes de son existence : la vie est infiniment trop belle pour qu'on la regarde à travers un prisme monochrome.

Je tente de garder à l'esprit en toute circonstance que ma passion pour le poker doit aussi parfois être contenue, afin qu'elle ne devienne pas un jour déraisonnable. Je l'ai déjà dit par le passé à deux ou trois reprises, mais ce blog constitue d'ailleurs un excellent moyen afin de canaliser mon énergie et de pouvoir ainsi raison garder en toutes circonstances. Puisse tout un chacun en faire de même face aux risques qu'engendre une passion, quelle qu'en soit la nature. Trouver un point d'appui, ériger un rempart, se forger une armure contre les retours de flamme. Facile à dire. Mais parfois si difficile à faire.


mercredi 27 mars 2019

One chip one chair

Ne pas connaître la peur constitue parfois une précieuse qualité au poker. Hier soir, au cours de ma session de poker en ligne, j'ai justement pu être le témoin d'un véritable petit miracle pendant l'un des tournois communautaires auquel je m'adonnais. One chip, one chair. Au poker, il suffit parfois d'un jeton pour aller jusqu'au bout de l'émotion et goûter à la victoire en étant revenu du diable Vauvert. C'est la magie de ce jeu.

Nous étions un peu plus de 200 joueurs inscrits. Le tournoi était d'un coût d'entrée modique, mais avec de grasses dotations ajoutées. Il faut dire qu'au bout de l'aventure, il y a un package live à aller chercher. Le tournoi a ainsi attiré un bon nombre de joueurs que je croise régulièrement aux tables, et je donc suis familiarisé avec la manière de jouer d'une bonne moitié des participants.

Dès le second niveau, alors que nous avons encore tous à peu près le stack de départ qui doit faire 150 blindes, je reçois une jolie paire d'as qui me permet de sur-relancer fortement le joueur premier de parole, qui est quelqu'un avec un profil rare : bien que pas vraiment mauvais, il a une inexplicable tendance kamikaze pré-flop, de telle sorte qu'il flirte en permanence avec l'élimination. De par son style de jeu, disons que c'est un joueur médiocre lorsqu'il est profond en jetons et qu'il devient bon à mesure que l'étau se resserre en fin de tournoi, son style de jeu devenant alors plus efficace grâce à son audace et à son courage. Il n'en demeure pas moins qu'à ce jour, il est recensé selon les données compilées sur le site Sharkscope comment étant un joueur gagnant, à la faveur de quelques belles premières places obtenues en tournois importants.

Toujours est-il qu'après que j'eus sur-relancé ledit kamikaze, il se trouve que le joueur situé juste après moi me sur-sur-relance (4-bet), et connaissant son profil de véritable serrure, je me doute à ce moment là qu'il ne peut avoir que les As ou les Rois. Ne se démontant pas, notre kamikaze paie la sur-sur-relance conséquente de mon ami la serrure. Tandis que la parole me revient, je décide de ne pas faire dans la dentelle et d'envoyer directement mon tapis alors même que nous ne sommes qu'en tout début de tournoi. Les deux joueurs payent. Comme prévu, mon ami la serrure est bien pourvu, puisque ayant dans sa main les deux autres As du paquet, tandis que le kamikaze paie les 150 blindes demandées avec... Roi-Dix suités ! Verdict de l'abattage : circulez, il n'y a rien à voir. Les As ne sont pas battus et le pot est partagé équitablement entre mon ami la serrure et moi-même, tandis que le kamikaze se retrouve alors nu comme un ver, avec 1 seule blinde.

Une blinde, une seule. Contre environ trente ou quarante mille autres chez l'ensemble des participants à ce moment-là du tournoi. Sauf que voilà, la magie du poker va alors opérer. Il va doubler son tapis. Encore et encore. Et encore. Et encore. Malgré les cotes mathématiques défavorables de ses mains. Malgré l'augmentation des blindes. Tant et si bien qu'au bout d'une vingtaine de minutes, il s'extirpe de la zone rouge. Je me souviens m'être fait la réflexion qu'avec une telle bénédiction divine, il serait capable d'aller au bout du tournoi. Car lorsqu'un joueur ultra agressif de son acabit est en verve, il devient extrêmement difficile à arrêter (pour la simple et bonne raison que la pression qu'il exerce sur les autres joueurs à table est telle qu'il devient dangereux à mesure que son stack prend du volume). Et pourtant, nous étions encore au moins 160 joueurs en course à ce moment-là. Pressentant le miracle possible, je n'ai cessé au cours de la soirée de jeter un oeil amusé au classement du tournoi, le voyant inexorablement grimper vers les sommets tandis que les éliminations - y compris la mienne - se succédaient.

Les lauriers de la gloire pour l'illuminé du soir...
Au final, le kamikaze a remporté le tournoi, au nez et à la barbe de joueurs autrement plus techniques. Le poker regorge d'histoires telles que celle-ci, et il faut l'avoir vécue ou observée de près pour comprendre à quel point l'incertitude est grande en tournoi. Rien n'est jamais acquis tant que le tournoi n'est pas fini. Un tournoi de poker, c'est un peu comme un champs de bataille : le champion olympique de fleuret ne gagne pas toujours face au barbare déchaîné dont la hache tournoie à tout va. Il est possible de compenser un déficit technique dès lors que l'on fasse preuve d'audace et que la chance décide de nous sourire. Et c'est tant mieux.

One chip, one chair. Partir de presque rien et rafler la mise. Que ce soit aux championnats du monde à Las Vegas ou au fin fond d'un obscur tournoi en ligne, les miracles de cet acabit sont toujours possibles. Les statistiques sont faites pour être défiées, cela n'en rend les histoires que plus belles a posteriori. Mais le haut-le-coeur n'est jamais loin lorsqu'on n'est pas soi-même le protagoniste de ladite histoire et que les lauriers de la gloire vont couronner un despote sanguinaire qui aurait dû périr dès la première escarmouche venue, en parfait imbécile qu'il était à ce moment-là. Sauf qu'au lieu de ça, on obtient un héros. C'est la magie du poker.






mardi 12 mars 2019

Rakeback bingo !

La roue de l'effort-thune...
Que ce soit en tant que protagoniste ou bien derrière le petit écran en tant que téléspectateur, j'ai toujours adoré le cyclisme. Malgré les efforts intenses dans les montées. Malgré le danger. Malgré ma terrible chute il y a quelques années et ma clavicule cassée en plusieurs morceaux en dévalant un col de haute montagne. Malgré la gangrène du dopage, les palmarès usurpés de certains champions et les mascarades télévisées de certaines courses à étapes. Parfois, lorsque ma session de poker du soir s'achève et que je n'ai pas envie de déconnecter immédiatement après avoir été éliminé de mon dernier tournoi nocturne, je me lance dans une petite session de speed poker, où les mains sont distribuées à vitesse grand V. Bien que n'étant pas fan de cash game, ce petit moment en toute fin de soirée me sert à la fois à décompresser et à m'entraîner à calibrer mes mises en vue de mes futures sessions. Un peu à l'image de ces coureurs cyclistes qui une fois la ligne d'arrivée franchie remontent en selle aussitôt pour s'adonner au home trainer avant de regagner le bus ou l'hôtel, afin d'éliminer les excès d'acide lactique : cela permet au corps de revenir au calme plus progressivement et surtout cela commence à décrasser l'organisme avant de passer au massage, qui sera alors potentiellement plus efficace.

Nulle ambition financière dans mes sessions de speed poker, car je ne m'autorise ce petit exercice qu'en micro-limites : il y a à peine une poignée d'euros en jeu, et cela va rarement au delà de la dizaine d'euros de gains ou de pertes. N'étant pas le plus grand spécialiste en la matière et au vu du rake prohibitif prélevé sur les tables des micro-limites, sur le long terme je parviens à peine à gagner un peu plus de sous que je n'en perds. Certains joueurs spécialisés dans ce type d'exercice parviennent toutefois à tirer leur épingle du jeu dans cette discipline à part du cash game qu'est le speed poker, en raison du rakeback qui leur est accordé grâce à leur volume de jeu... Il s'agit d'une petite ristourne pour les joueurs les plus fidèles au poste et qui génèrent le plus d'action aux tables pendant une période donnée, la ristourne en question venant compléter les (maigres) gains obtenus lors des sessions. Outre des primes en cash, le rakeback prend également la forme de points de fidélité échangeables contre des goodies, vêtements et autres cadeaux à choisir dans la boutique en ligne de l'opérateur.

Bingo !
Toutefois, en matière de redistribution du rake, Winamax se démarque quelque peu de la concurrence en ce sens que sur ses tables de cash game, il y a également un petit jeu de bingo qui se déroule en place automatiquement et qui évolue à chaque main sans qu'il y ait besoin de bouger le petit doigt, au fur et à mesure que le joueur reçoit ses cartes privatives. A vrai dire, je n'y ai jamais prêté attention tellement je trouve ça inintéressant. Du moins jusqu'à ce mail que j'ai reçu un soir de la semaine dernière sur les coups de 1h30 du matin et qui a eu pour effet de faire vibrer mon téléphone alors que j'étais concentré sur la fin de ma session de speed poker, que l'on appelle Go Fast sur Winamax. Avoir le smartphone qui vibre à cette heure-là est tout à fait inhabituel, et sur le moment j'ai cru à un mail publicitaire envoyé par un automate programmé par un ingénieur peu scrupuleux du sommeil d'autrui. Mais il n'en était rien puisqu'au final, ledit mail, envoyé par Winamax m'a officiellement prévenu que je venais de remporter un Bingo d'une valeur de 61 euros. Petite surprise, certes, mais que l'on qualifiera d'agréable : ne rien faire de particulier et se retrouver crédité de cette somme sur son compte poker, on a connu pire, comme notification. Surtout que c'est en jouant des clopinettes que j'ai obtenu ces 61 euros.

Dans le feu de l'action, tandis que je jouais mes mains à une cadence frénétique sur mon ordinateur avec le son coupé, je ne me suis rendu compte de rien : je n'ai constaté aucun message particulier au moment où j'ai remporté le bingo en question, et n'ai donc découvert la chose qu'a posteriori, avec quelques minutes de retard, en examinant dans le détail le mail que je venais de recevoir.

Certes, recevoir une petite somme d'argent de la sorte sur son compte constitue quelque chose de plaisant, mais avec un soupçon de recul, je demeure dubitatif au regard de cette forme totalement aléatoire de redistribution partielle du rake prélevé. A noter qu'outre Winamax, l'opérateur PokerStars également procède désormais à une redistribution aléatoire de rake, quoi que sous une forme nettement plus simpliste à base de coffres de loot avec à l'intérieur des lots à valeur très variable (sur le même modèle que ce qui est pratiqué dans de nombreux jeux vidéo). Les joueurs réguliers pros et semi-pros détestent, tandis que les récréatifs adorent.

Sur le marché hexagonal, le rake est plus élevé que dans bon nombre de pays, ceci s'expliquant notamment en raison de la juteuse taxe prélevée au passage par l'Etat français sur les mises. Ayant un esprit rationnel axé sur la notion de bon sens, je me dis qu'il serait a priori plus pertinent pour une plateforme de poker de tout simplement baisser le rake plutôt que de procéder à une redistribution partielle comme c'est le cas pour l'ensemble des opérateurs français de poker en ligne, mais je sais qu'il y a des enjeux plus subtils de nature à justifier ce mécanisme de redistribution, notamment pour que les joueurs les plus fidèles apportent de l'action aux tables y compris pendant les heures creuses. Le système a donc quelques vertus, mais il n'est pas sans causer bon nombre d'effets pervers sur l'écosystème. Il y a aurait beaucoup à dire sur le sujet, et j'aurai l'occasion de revenir dessus à la faveur d'un article futur si les affres de la procrastination ne viennent pas à bout de mes velléités en la matière.