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dimanche 6 avril 2014

La maison du bluff - édition 2014

L'année dernière, je m'étais littéralement passionné pour l'émission de télé-réalité qu'est " La Maison du Bluff ". Le principe est simple : on mélange à part égales des cancres recalés ou recyclés de la télé-réalité (choisis sur casting), quelques jolies filles aspirant à une carrière de mannequin, et des candidats qualifiés par internet (ceux qui survivent à des boucheries sur Pokerstars avec des milliers et des milliers de participants). On les enferme dans une villa au soleil (Espagne en 2012, Portugal en 2013, Maroc en 2014) et en leur fait manger du poker à toutes les sauces, matin, midi et soir.

Cette année encore, j'ai beaucoup regardé La Maison du Bluff. Non pas sur NRJ12, le diffuseur qui assure la retransmission de ce programme, mais sur le streaming live qui est disponible gratuitement sur Internet du midi jusque tard le soir. Autant je m'étais passionné par le cru 2013, autant le cru 2014 de La Maison du Bluff m'a paru un poil fade en comparaison. Difficile de dire si c'était en raison du plaisir de la découverte ou du charisme des candidats. Pour autant, je suis loin de faire la fine bouche. Car ce fût sympathique à regarder malgré tout dans l'ensemble. J'ai d'ailleurs fait la part belle à la partie du programme se rapportant au poker à proprement parler en délaissant complètement le côté télé-réalité. Les chamailleries entre candidats caractériels et les amourettes devant les caméras, ce n'est pas mon truc.

Benny & Yu
Bien plus qu'une simple télé-réalité, ce programme constitue essentiellement un vecteur de communication pour la plateforme PokerStars qui parraine ce programme, dans l'espoir de capter un vivier de nouveaux joueurs, sachant que le poker ne doit pas fonctionner en vase clos, et que des petits nouveaux doivent continuellement débarquer sur le marché pour qu'il ne s'atrophie pas au fur et à mesure. Rien de tel qu'une bonne émission de télévision pour y parvenir. Pour le diffuseur NRJ12, il s'agit d'un mix de programmes de flux et de stock à très bas coûts, rediffusables pendant des semaines et des semaines par la suite. Car en dépit de candidats peut-être un tantinet moins intéressants que l'an passé, cette émission conserve de par son concept beaucoup de fraicheur, de spontanéité, avec des commentateurs de talent qui bonifient l'émission par leur humour décapant et leur réelle capacité à improviser pendant des heures en direct (Benjamin Bruneteaux et Julien Brécard, plus communément appelés "Benny et Yu").

Toutefois, indépendamment des aspects liés à la nature et de la qualité de ce programme, il est intéressant de constater qu'il existe un décalage (assumé) d'environ une semaine, voire une dizaine de jours, entre le live disponible en temps réel sur internet via le streaming et la quotidienne (diffusée en fin d'après-midi) ainsi que les tables éliminatoires (diffusées le soir tard) sur les antennes de NRJ12. Pour quelqu'un qui picore quelques moments de live sur le streaming de temps à autre et qui veut compléter le tout par un plat de résistance plus consistant en suivant le fil de l'aventure via les émissions sur NRJ12, c'est tout bonnement impossible à digérer car non regardable en l'état pour des raisons de logique et de conducteur, sauf à être quelque peu schizophrène ou bien alors grand amateur de flashbacks comme dans certains films de cinéma. Mais à l'ère du tout numérique, avec la capacité à faire des montages à vitesse grand V, l'existence de ce décalage de plusieurs jours m'apparait tout à fait inapproprié en sus d'être préjudiciable au programme en lui-même. Tout comme il ne viendrait pas à l'esprit d'un gourmet de s'acheter un bifteck frais chez le boucher le lundi pour le laisser dans son réfrigérateur jusqu'au samedi avant de se décider à le manger (dans de telles conditions, autant acheter du surgelé plutôt que le produit frais devenu faisandé), il n'est pas acceptable selon moi de s'infliger en toute connaissance de cause un pareil décalage entre le live et la diffusion des quotidiennes et des tables éliminatoires.

Ce samedi 5 avril avait lieu la table finale avec les six derniers rescapés de l'aventure. Mais contrairement aux années précédentes, afin de ne pas cannibaliser l'audience de l'émission La Maison du Bluff, et surtout afin d'éviter les spoilers quant au nom du vainqueur, la direction de NRJ12 a imposé (manifestement dans la précipitation) à PokerStars de cesser la diffusion du programme live sur le streaming internet en plein milieu de la table finale, au moment où le quatrième candidat (Goulven) se fait éliminer, afin de ménager pendant quelques jours le suspense avec les trois derniers finalistes. Quelle décision stupide et quelle frustration pour les suiveurs passionnés de La Maison du Bluff ! Il ne leur est manifestement pas venu à l'esprit, à ces gens pétris de certitudes que LA solution, c'était de diffuser la table finale en direct et que pour ce faire, il convenait de gommer ce décalage de plusieurs jours entre le live et les diffusions sur NRJ12... D'ailleurs, quand je pense à toutes ces synergies potentielles de perdues entre le streaming live et la diffusion sur la chaîne de télévision, je suis effaré.

Comme au poker lorsque l'on dispose d'un tapis confortable, à force de ne pas prendre de risques pour ne pas se faire éjecter de la table, on finit par se faire grignoter peu à peu son tapis au fur et à mesure que les blindes augmentent et on a vite fait de se retrouver avec une marge de manoeuvre de plus en plus étroite avant d'avoir eu le temps de se réveiller. Un peu à l'image d'un dragon assoupi dans sa tanière sur son tas de pièces d'or. Les diffuseurs classiques de télévision, dont l'audience s'érode petit à petit face à la concurrence d'Internet, du Replay et de la Video à la Demande devraient se remettre en question bien plus sérieusement qu'ils ne le font. Car dans un paysage audiovisuel français dont la chronologie des médias est complètement bousculée depuis quelques années, il y a ceux qui ronronnent comme si rien n'avait changé. Ils risquent de déchanter plus vite qu'ils ne le pensent. Et il y a ceux qui s'adaptent. Parfois maladroitement, mais au moins ils fournissent les efforts nécessaires afin ne pas être dépassés. En ce sens, je suis consterné de constater qu'un diffuseur tel que NRJ12, pourtant tardivement arrivé sur le marché de la télévision hertzienne avec l'arrivée du numérique (et qui devrait avoir une mentalité de challenger, en misant sur l'audace et la prise de risques), se comporte déjà comme un dragon fatigué (ou un dinosaure de la télévision) en ne cherchant même pas à mettre en tête de gondole ses produits frais. Certes, avec La Maison du Bluff, on ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un produit de type "primeur", mais il n'en demeure pas moins que traiter un produit frais comme une vulgaire boîte de conserves constitue presque une faute professionnelle... dans tous les cas, il s'agit au moins d'une faute de goût !

BeInSport est implanté dans le paysage audiovisuel français depuis moins de deux ans, en segmentant son offre de programmes sportifs de façon cohérente et professionnelle, et en mordant directement aux mollets d'un Canal+ engoncé et assoupi dans son confortable fauteuil en cuir de leader sur le marché des droits sportifs, ne sursautant qu'épisodiquement lorsque la douleur de la morsure commence à se faire sentir, se persuadant malgré tout qu'il ne s'agit que d'un mauvais rêve.

Netflix est une entreprise américaine proposant des films et séries en flux continu sur internet, déjà implantée dans certains pays d'Europe et débarquant en France dans les tous prochains mois. Et pourtant, à ses débuts fin des années 1990 les services proposés n'avaient rien à voir avec ceux actuels, qui consistent à mettre à disposition pléthore de films et séries en flux continu moyennant un abonnement mensuel. Mais Netflix s'est manifestement adapté tellement vite aux attentes des consommateurs et téléspectateurs, qu'il a conquis des dizaines et des dizaines de millions d'abonnés avec leur offre, au point de devenir aujourd'hui un nouveau géant mondial des médias.

Kevin Spacey - série House of Cards
Prenons le cas d'une série à succès tel que House of Cards (avec le brillant Kevin Spacey, la série est financée par Netflix). Eh bien sur Netflix, une saison (13 épisodes) est désormais disponible dans son intégralité le jour de son lancement sur la plate-forme. L'abonné peut se gaver à la vitesse de son choix. Sur Canal+, cette même série House of Cards, comme toutes les autres séries proposées sur la chaîne, ne peut être regardée que par tranche de deux épisodes, à une semaine d'intervalle. Le manque d'audace, de compétence et de bon sens est encore plus criant sur la plateforme de Replay, Canal+ à la demande car en sus d'avoir parfois à attendre une semaine pour avoir à disposition la tranche suivante d'épisodes, l'abonné ayant fini de visionner un épisode de la série se voit proposer plusieurs programmes une fois cet épisode terminé, mais PAS le programme correspondant à l'épisode suivant de la série, alors qu'il est pourtant disponible sur la plateforme. Il doit revenir dans le menu principal pour visionner l'épisode suivant, en dépit du bon sens. Et ce détail frustrant est actuellement valable pour TOUTES les séries disponibles sur le Replay de Canal+ à la demande. En ce sens, il est presque rassurant de constater que l'incompétence est uniformément présente dans toutes les chaînes composant le paysage audiovisuel français, y compris chez les plus prestigieuses et pas seulement au sein de NRJ12.

J'ai peur qu'il existe un décalage de plus en plus patent entre ceux qui sont aux manettes des chaînes de télévision et les nouveaux modes de consommation des téléspectateurs, de moins en moins passifs d'année en année. Dans de telles conditions, il n'est guère étonnant que de nouveaux entrants étrangers tels que BeInSport ou Netflix soient en mesure de se faire une place au soleil assez rapidement.

En décidant d'imposer un black out brutal de la diffusion sur le streaming live de La Maison du Bluff, le diffuseur NRJ12 vient de démontrer une nouvelle fois si besoin était à quel point nos chaînes de télévision françaises sont sur le déclin, victimes d'un management frileux, en panne de créativité et de réactivité, pas assez visionnaire pour anticiper et accompagner des changements substantiels dans les comportements des téléspectateurs du 21ème siècle. Et finalement, le plus drôle dans cette histoire, c'est qu'il y a des gens au sein du staff de NRJ12 qui en cet instant précis se félicitent d'avoir pris la bonne décision... Oui, je regarderai sur NRJ12 la seconde partie de la table éliminatoire, dans une dizaine de jours, afin de savoir qui de Julien le gendre idéal, de Christophe le lourdaud sympa ou de Vaness' et son poker de banlieue plutôt bien maîtrisé, triomphera et remportera le contrat des 100 000 Euros promis au vainqueur final. Oui, je vais me farcir à cette occasion quelques spots de publicité que j'aurais pu esquiver si le streaming live avait été disponible jusqu'au bout. Mais l'image que j'ai de cette chaîne sera encore un peu plus écornée. Aujourd'hui, c'est le comportement de NRJ12 qui m'a contrarié. Mais au final, je constate que c'est tout le paysage audiovisuel français dans son ensemble qui me contrarie et me déçoit. Je regarde de moins en moins la télévision.




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