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vendredi 30 mai 2014

Winamax Sismix 2014 : illustration du creusement des inégalités en tournois live

Davidi Kitai vient de remporter la première édition du tournoi Winamax Sismix de Marrakech ce dimanche 25 mai 2014. Pour rappel, ce charismatique leader de l'équipe Winamax avait eu la chance de m'éliminer lors du tournoi live Qualificatif de la Grande Halle de La Villette en octobre dernier dans des conditions rocambolesques, à l'approche des places payées et de la bulle.
Le vainqueur (Source : Club Poker)
En dépit du fait que le Sismix de Marrakech constitue un tournoi d'importance secondaire, cette victoire permet au joueur belge Davidi Kitai d'intégrer le Top 10 mondial au classement GPI (Global Poker Index) actuel. On pourrait se dire de prime abord qu'il est somme toute logique qu'une star mondiale du poker remporte un tournoi de modeste envergure réunissant 473 joueurs (670 inscriptions en comptant les ré-entrées) et n'accordant au vainqueur final que 56 000 Euros. Le tournoi était de niveau intermédiaire, et le meilleur a gagné.

Toutefois, là où le bât blesse, c'est que pour y parvenir, le joueur belge a effectué pas moins de 4 ré-entrées dans le tournoi. Autrement dit, là où le joueur de poker lambda n'a disposé que d'une seule cartouche, Davidi Kitai ainsi que tous les autres joueurs professionnels de l'équipe Winamax ont eu droit, comme souvent, à multiplier les tentatives lors de ce tournoi de telle sorte que leur chance d'aller au bout de l'épreuve s'en retrouve accrue de façon exponentielle : en effet, ces joueurs peuvent se permettre des prises de risques inconsidérées dès le départ, de telle sorte que cela fausse les stratégies de jeu et l'égalité des chances. Le but n'est pas tant en effet de rester en vie que de se constituer un tas conséquent de jetons. Car une fois que le tournoi avance et que le nombre de joueurs encore en lice se réduit, le fait de disposer de davantage de jetons que ses adversaires permet de leur mettre une pression supplémentaire et constitue un avantage non négligeable. Indépendamment de l'aspect purement financier, avec cette victoire de l'un de leur poulain, le gain en image pour la plateforme Winamax est substantiel. Mais est-ce également profitable pour le poker en général ? Pas sûr...
Davidi Kitai et l'équipe Winamax ont le sourire - (Source : Club Poker)
Les tournois permettant des ré-entrées en cas d'élimination se multiplient sur le circuit depuis quelques années. De nombreux gros événements se sont laissés séduire par ce format permettant au joueur de revenir dans le tournoi une ou plusieurs fois pendant un certain laps de temps après avoir subi une élimination précoce en cours de tournoi. Mais lorsque les ré-entrées sont illimitées, on assiste parfois à des phénomènes aberrants tel que celui-ci, ou tel un Daniel Negreanu (joueur canadien numéro 1 mondial en 2013) qui fait tapis en tout début de tournoi sans voir ses cartes des dizaines et des dizaines de fois de suite dans le but assumé de se constituer une montagne de jetons afin d'accroître ses chances de gagner le tournoi grâce à un départ en trombe, quitte à devoir s'acquitter de quelques dizaines de ré-entrées.

Lorsque je m'étais rendu au Barrière Poker Tour de Bordeaux en mars dernier, en participant au day 1B, j'avais eu la désagréable surprise de constater qu'il y avait à ma table quelques requins éliminés au day 1A qui retentaient leur chance lors du day 1B. Seuls les joueurs aguerris pratiquent les ré-entrées. En conséquence, on est en droit d'en déduire que le niveau général est plus élevé en day 1B qu'en day 1A. Voilà l'une des multiples raisons pour lesquelles je ne suis pas tombé sur le charme du poker live de compétition : j'avais la désagréable impression d'avoir des inégalités quasi-flagrantes sous les yeux. Pourtant, à la base, le poker Texas Hold'em se joue avec deux cartes pour tout le monde...

Je n'ai rien aucune rancoeur envers Davidi Kitai. Au contraire, je le trouve sympathique. Pourtant, je considère sa victoire dans le Sismix 2014 comme peu morale car obtenue dans des conditions très inégalitaires : cinq cartouches tirées au lieu d'une seule, cela augmente considérablement les chances de toucher la cible en plein coeur. En conclusion, je pense que ce système de ré-entrées nuit non seulement aux participants modestes en accroissant drastiquement les inégalités au profit des joueurs faisant partie du gratin, mais il nuit également au poker au général, puisqu'à terme cela contribue à décourager ces mêmes joueurs modestes de persévérer dans l'effort sur le long terme. Le poker est une activité économique pyramidale : ceux qui brillent au sommet vivent grâce à tous les anonymes qui végètent dans les échelons inférieurs. Ils végètent, mais ils espèrent malgré tout... et consolident ainsi la structure en acceptant de supporter le poids de ceux placés au dessus d'eux. Or, les tournois permettant les ré-entrées démoralisent petit à petit les joueurs lambda capables de voir un peu plus loin que le bout de leur nez. Effriter le moral de ceux qui sont en bas de la pyramide en réduisant drastiquement leur chance de parvenir au sommet un jour, c'est prendre le risque de les voir déguerpir un jour de la structure et de faire s'écrouler la pyramide, faute de bases solides et stables. Le poker n'en sortira certainement pas grandi à terme.


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