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Juillet, c'est le mois du Tour de France cycliste. Depuis mon enfance, j'ai toujours été un vrai fan de cet événement estival. Il existe
selon moi beaucoup de similitudes entre le fait de jouer au poker et
le fait de pratiquer un sport de compétition. En cette année 2013, on célèbre la centième édition du Tour de France, cette vénérable compétition. Et puisque je suis
quelqu'un qui aime raisonner par analogie, je vais tenter un
parallèle audacieux entre le cyclisme et le poker. Car je suis
convaincu que grâce aux métaphores et aux comparaisons, il devient
souvent beaucoup plus aisé d'expliquer des concepts pourtant parfois
relativement abscons.
Le petit monde du cyclisme a connu lors de ces dernières années un changement profond dans sa structure qui a révolutionné la façon de courir. Je parle non pas du dopage, mais bien de l'oreillette. Grâce à l'irruption de la technologie, les coureurs cyclistes sont en permanence informés de l'état de la course par leur directeur sportif, qui suit le déroulement de l'épreuve depuis son véhicule équipé de la radio, d'un ordinateur de bord embarqué, d'un GPS, d'un poste de télévision et de quelques autres gadgets technologiques du même acabit. Grâce à cela, les adversaires d'un coureur sont ainsi facilement marqués à la culotte en continu car scrutés par des multitudes de paires d'yeux, et l'information est relayée quasi-instantanément par les directeurs sportifs, puisque les moindres faits et gestes des rivaux sont épiés et aussitôt annoncés aux coureurs de l'équipe.
Bradley Wiggins & Chris Froome - Tour de France 2012 |
Officiellement, le but
premier de l'oreillette est de prévenir les coureurs des dangers
(signalement des terre-pleins, signalement des dos-d'ânes,
resserrement de la chaussée, meilleure gestion des ravitaillements,
etc.). En vérité, L'oreillette est essentiellement un instrument
d'information et d'optimisation tactique des directeurs sportifs, qui
abreuvent les coureurs de leur équipe d'informations de course mais
aussi et surtout d'informations relatives aux rivaux adverses et à
la tactique à employer. L'argument accessoire (la sécurité des
coureurs) est mis ainsi en avant au détriment de l'argument
principal moins glorieux qui consiste donc pour un directeur sportif
à pouvoir téléguider les coureurs de son équipe, comme de
vulgaires pantins que l'on articulerait selon son bon vouloir. Et
pendant la course, force est de constater que le recours systématique
à la technologie par les coureurs cyclistes professionnels produit
des effets négatifs du point de vue du spectacle : Il n'y a
plus de prime à la roublardise pour les coureurs, et la course est
sensiblement plus stéréotypée qu'avant. L'audace et l'effet de
surprise sont rendus plus difficiles. C'est la prime à la métronomie
et à l'optimisation de la gestion de l'effort.
De la même manière, au
poker les logiciels d'assistance – communément appelés trackers –
sont avant tout présentés comme un outil de suivi personnel de son
évolution et de sa progression. Mais derrière cet argument
gentillet se cache une seconde vérité bien plus crue : il s'agit
avant tout d'un outil destiné à épier et analyser les faits et
gestes de ses adversaires afin d'en tirer le meilleur parti. En
conséquence, les joueurs qui en font usage jouent leur poker de
façon moins naturelle qu'ils ne le feraient s'ils en étaient
dépourvus. Mais dans une écrasante majorité des cas, cela va les
aider à optimiser leurs choix. J'ai déjà dit que le poker était
un jeu d'informations avant toute chose. Les informations fournies
par un logiciel d'assistance (tracker) sont de nature à faire
pencher la balance lors de certaines prises de décision du joueur.
De ce fait, prétendre aujourd'hui vouloir être au top de la
discipline sans faire usage de la technologie, c'est se priver de
certaines informations. Sachant que toute information est
potentiellement importante, se priver de tracker revient à se
constituer délibérément un handicap. En ayant recours à cette
assistance technologique, on y perd en liberté, en créativité, en
spontanéité et en adrénaline. Mais je considère que se priver
délibérément de cet outil d'analyse constitue désormais un
handicap trop sérieux pour être délaissé.
De la même manière
qu'il apparaît aujourd'hui impossible pour une équipe cycliste de
se priver d'oreillettes pendant une course alors que d'autres équipes
en disposeraient (sauf à délaisser toute ambition sérieuse de
victoire), il en va de même avec le poker : ceux qui n'ont pas
de logiciel de suivi peuvent faire une croix sur toute ambition
d'optimisation quant à leur prise de décision dans les coups joués
face à tel ou tel adversaire. Sur le long terme, ils se retrouvent
donc lourdement pénalisés.
Tout récemment,
certaines plate-formes de poker ont imaginé une astuce pour limiter
l'écart de niveau induit par ceux qui font usage d'un tracker par
rapport aux joueurs qui en sont dépourvus : les tables
« anonymes ». Un joueur qui débarque à une table se
retrouve affublé d'un numéro provisoire en lieu et place d'un
habituel pseudo décoré d'un avatar, afin qu'il ne soit pas reconnu
par les bases de données des trackers, permettant ainsi de
lisser les écarts entre les joueurs équipés et les joueurs
purement récréatifs. Cette solution me paraît faussement bonne.
Pour la simple et bonne raison qu'elle risque de rebuter plus que
d'attirer. C'est comme si on habillait d'un noir uniforme tous les
coureurs cyclistes afin qu'ils ne puissent pas être aisément
reconnus par les directeurs sportifs adverses lorsqu'il y a des
attaques, des chutes, des bordures, des défaillances. Pour le
spectacle offert, le remède proposé au grand public est encore pire
que le mal ! Peu d'amateurs éclairés y trouveraient au final
leur compte. Car le joueur de poker est orgueilleux : il aime défier
tel ou tel adversaire, prendre sa revanche sur un adversaire précis
lorsqu'il a perdu des jetons, et continuer à écrabouiller des
joueurs sur lesquels il croit avoir pris un ascendant psychologique.
Dans de telles
conditions, on peut de prime abord se demander pourquoi aucune
plate-forme de poker à ce jour ne propose le suivi
statistique pour tous, avec un outil statistique simple
d'usage qui serait consultable à loisir par tous les joueurs à
n'importe quel moment de la partie. D'une certaine manière, tout le
monde serait enfin à armes égales, chacun disposant de ces
informations supplémentaires. Cela rassurerait de nombreux joueurs
quant à l'égalité des chances en termes d'accès à l'information.
Sauf qu'il y aurait un revers de la médaille. D'une part, trop
d'info tue l'info, et certains joueurs de poker ne voudraient ou
ne sauraient jamais utiliser à bon escient un logiciel de tracking.
Mais aussi et surtout, cette solution simpliste mettrait aussi en
évidence une cruelle réalité : pour de nombreux joueurs, ce
serait la douche froide car ils pourraient alors se rendre compte de
façon criante de la faiblesse de leur niveau de jeu. Et pourraient
décider de fuir définitivement le poker. Toutes les vérités ne
sont pas toujours bonnes à dire. Enfin, tout ceci n'est que
spéculation et je trouve néanmoins que l'idée mériterait d'être
creusée, voire exploitée, surtout au sein d'une plate-forme
générant peu de trafic et avide de conquérir des parts de marché
en se positionnant sur un créneau original.
En poussant l'analogie
entre le poker et le cyclisme jusqu'au bout pour cette idée précise,
je me dis que pour rétablir un soupçon du panache d'antan dans les
courses cyclistes, il serait possible de faire perdurer le système
des oreillettes, en le tolérant uniquement par le biais
d'informations qui seraient relayées par un commentateur « neutre »
et non pas par les directeurs sportifs. De telle sorte que le
principe de sécurité des coureurs continuerait à être respecté
sans pour autant qu'il y ait téléguidage des coureurs du peloton
par leurs directeurs sportifs respectifs. Car les réticences sont
extrêmement fortes au sein du peloton, surtout chez les coureurs
avides de performances optimisées et soucieux de réduire autant que
possible la part d'aléa. L'interdiction pure et simple de
l'oreillette au sein des pelotons cyclistes sera peut-être
prochainement mise en place en dépit des réticences du peloton. La
décision de principe a été prise par l'UCI le 16 juin 2012, mais
son application ne surviendra pas avant 2014. Mais cette décision ne
tient qu'à un fil, si j'ose dire : il faut impérativement que les
hautes instances du cyclisme se montrent fermes face à la
grogne actuelle et à la fronde des directeurs sportifs et des coureurs
professionnels qui ne veulent pas en démordre et font tout leur
possible pour entraver l'interdiction de l'oreillette au sein des
pelotons. Mais le paradoxe, c'est que cette interdiction sera à coup
sûr une bonne chose pour le cyclisme, car n'en doutons pas : l'usage
de l'oreillette tue le spectacle et rend les courses cyclistes
ennuyeuses à regarder à la télévision. Moins de spectacle génère
moins d'audience. Et moins d'audience génère moins
d'investissements financiers de la part des sponsors (déjà
considérablement échaudés par toutes les affaires de dopage
révélées au grand jour depuis le début des années 1990).
On le voit, il ne
semble pas qu'il y ait aujourd'hui de solution « parfaite »
au problème induit par la prépondérance technologique, puisque
cette irruption de la technologie a maintenant modifié de façon
substantielle (voire irréversible) la façon de courir chez les
cyclistes professionnels, tout comme cela a modifié
substantiellement la façon de pratiquer le poker en ligne. Que cela
nous plaise ou non. Et il apparaît donc comme assez illusoire de
vouloir lutter contre cela en invoquant des arguments fondés sur la
nostalgie et sur la perte de spontanéité dans la façon de jouer,
quand bien même je fasse partie moi-même du camp des nostalgiques.
Mais je suis avant tout pragmatique et je considère qu'il faut
pouvoir avoir des armes affûtées pour vaincre les plus redoutables
adversaires. Surtout qu'eux, ils n'ont pas le moindre état d'âme.
Si l'interdiction de
l'oreillette est pour bientôt dans le cyclisme, l'interdiction pure
et simple des trackers dans le monde du poker en ligne risque
d'être rendue extrêmement difficile à mettre en place sur le plan
pratique, car il est à redouter que des petits malins et des gens
sans scrupules parviennent aisément à contourner d'éventuelles
barrières légales qui seraient ainsi érigées (c'est d'ailleurs
déjà le cas pour certains logiciels illégaux qui vont puiser les
informations dans une gigantesque base de données mutualisée). De
toute manière, le sujet ne semble pas constituer actuellement une
priorité au yeux de l'ARJEL (l'Autorité de Régulation des Jeux En
Ligne). De ce fait, il va me falloir continuer à intégrer le
paramètre « tracker » dans mes équations
pokeristiques. Et ce, pendant longtemps encore...
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