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jeudi 24 décembre 2020

Avec les as, tout est plus simple (2/2)

Le scenario est bien rodé : il se reproduit épisodiquement, par intermittence, sans aucun signe avant-coureur, à la faveur d'une soirée poker qui débute sur les chapeaux de roues. Plusieurs paires d'as à intervalles rapprochés qui vont à tapis contre des mains ultra-dominées (de type As-Roi ou As-Dame) et qui permettent de doubler rapidement son stack lors des premiers niveaux d'un tournoi. Pour éviter la monotonie des as, une paire de rois qui produit un effet similaire de temps en temps n'est pas de refus. On double encore son tapis. Toutes nos tables sont à marée haute. Une nouvelle paire d'as à une autre table. On dirait bien que c'est la fête. La soirée est lancée de la plus belle des manières. La chance est manifestement au rendez-vous puisque les as sont là et qu'ils ne se font pas injustement craquer : de quoi s'en pourlécher déjà les babines ! Nos adversaires semblent n'être là que pour jouer le rêve de victimes expiatoires. Dans de pareils moments, alors qu'il est à peine plus de 21h heures et que la soirée vient à peine de commencer, dans un recoin de notre tête on se sent déjà aussi irrésistible que le fils d'Attila, en authentique Prince Charmant débridé, et l'on se met déjà à rêver d'une marche triomphale entre Budapest et Vienne au son d'une valse à peine altérée par le bruit des tambours, avec une fin heureuse de type "et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Un véritable conte de fées nous attend. Vive les as !!! On en redemande. J'appelle cela l'effet Cendrillon.

Avec les as en main, tout est évidemment plus simple. Certes, il faut savoir encaisser un petit bad beat réglementaire de temps en temps. Certes, il faut savoir les coucher post flop lorsque ça sent le roussi et qu'il faut évacuer à regret le château féérique en proie aux flammes. Mais Dieu qu'on se sent fort, avec cette main légendaire qui nous permet de monter des tonnes de jetons en début de tournoi face à des pâles adversaires. Sauf qu'à la vérité, ce type de soirée avec démarrage en fanfare les as en main réserve inévitablement son lot de déconvenues tardives. Plusieurs heures plus tard. Dans des moments autrement plus importants qu'un banal début de tournoi. Car derrière le bruit des tambours se love en sourdine  sournoise celui des canons.

Il y a quelques jours, c'est de façon caricaturale que pareille déconvenue m'est arrivée. Une fois le feu d'artifice initial épuisé, ce sont bien les autres qui se sont mis à avoir les paires d'as en main. Dans les moments critiques du tournoi. Ceux qui comptent vraiment : dans le money time. Lorsque la table finale est à portée de clic. Là où en définitive cela importe vraiment de les avoir, ces satanés as, au regard des écarts conséquents induits par les paliers exponentiels s'agissant des places payées. Minuit passé et mon écran d'ordinateur affiche encore une constellation de tournois où je suis en vie avec un stack conséquent : super ! Sauf qu'à partir de ce moment-là, l'effet Cendrillon opère... dans sa phase dramatique. A chaque belle main de ma part, je tombe sur un adversaire qui a les as et qui met brutalement fin au bal. Perte logique du 20/80. Même déconvenue moins de cinq minutes plus tard. Puis, tant qu'à faire jamais deux sans trois... encore un adversaire qui nous éjecte manu militari avec ses as. Elimination ; élimination ; élimination. Fin du bal. 1h du matin. Frustration totale. Récolte de clopinettes et retour à la case citrouille. Tout ça pour ça.

Tout ceci pour dire que la bonne fortune ne se mesure pas d'une façon linéaire. A fortiori lorsqu'on a les as en main. Ce qui importe vraiment, ce n'est pas le nombre de fois qu'on va les toucher, mais bien le moment précis où on en hérite. Si comme dans la légendaire chanson de Téléphone "Cendrillon pour ses vingt ans est la plus belle des enfants. Son bel amant, le prince charmant, la prend sur son cheval blanc", vient le couplet où elle paye le tribut du retour de variance et se voit contrainte de céder les spotlights à la belle au bois dormant. Plus dure est la chute quand on n'y a pas été préparé.

Ne pas s'enflammer quand on a les as. A fortiori lorsque les enjeux sont encore faibles en début de soirée. Voilà un noble conseil que je peux donner aux apprentis princes charmants. Une fois l'aspect mathématique modélisé, le poker se résume à une affaire d'histoires plus ou moins heureuses, plus ou moins bien ficelées. J'ai perdu ma candeur virginale depuis bien longtemps et n'accorde plus aucun crédit féérique aux démarrages en fanfare, as en main. Car les plus belles histoires sont celles qui commencent mal et se terminent bien. Qu'on se le dise.


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