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mardi 20 décembre 2016

Le poker : passeport pour l'oubli ?

Lorsqu'une civilisation parvient à un certain degré d'évolution et de raffinement au point d'approcher une forme de perfection, elle a tendance à se mettre à cultiver une insouciance et une frivolité qui finiront par la perdre, sur le long terme. Car la facture enfle, entretemps. Et à un moment, il faut bien la payer.

J'entretiens envers le poker - activité frivole s'il en est - une relation passionnelle et chronophage. Le lundi soir constitue bien souvent la soirée charnière de ma semaine de jeu. En termes d'habitudes de jeu, le lundi est indubitablement le jour de la semaine où je suis le plus assidu et rien ne m'enthousiasme plus que de commencer la semaine du bon pied avec un petit bénéfice sympathique qui donne le ton pour les jours qui suivent. Ce qui fait que le mardi matin, je suis fréquemment de bonne humeur.

Pourtant, ce mardi 20 décembre, je me suis levé du mauvais pied au lendemain de ma soirée poker du lundi 19 décembre 2016. Mes résultats du soir ont été particulièrement mauvais, avec des éliminations précoces plus ou moins méritées. Je n'étais pas en verve. Du coup, j'ai joué ma fin de session en roue libre, avec la chaîne info BFMTV en guise de fil rouge, mon smartphone nouvelle génération écran full HD posé sur le bureau déversant son flot ininterrompu de mauvaises nouvelles. Et j'ai eu mauvaise conscience, à ce moment-là. Non pas parce que d'ordinaire mes sessions poker ne sont pas parasitées par des sources extérieures nuisibles à ma concentration, mais bien parce qu'à un moment, j'ai eu une sorte de flash : le poker n'est autre qu'un passeport pour l'oubli... je m'y adonne avec passion et insouciance tandis que le monde va de plus en plus mal. Mais vivre dans un monde de flips est tellement plus sexy que de vivre dans un monde flippant !

Joue et tais-toi
Hier, beaucoup d'événements importants ont en effet fait la une de l'actualité. Tout d'abord, Christine Lagarde, ancienne ministre de l'économie a été reconnue coupable de négligence dans le cadre de l'affaire Tapie. Il ne s'agit-là que de la face émergée de l'iceberg, puisque je suis convaincu que des dizaines de millions d'euros de commissions impliquant quelques uns des plus hauts personnages de l'Etat dorment quelque part dans un compte bancaire numéroté aux Bahamas ou au Panama. Reconnue coupable, mais dispensée de peine. La belle affaire !! J'aurais tant à dire sur ce sujet que je ne connais que trop bien. Mais jouer au poker, c'est bien plus réjouissant. Puis, dans l'après-midi, l'ambassadeur russe en Turquie a été froidement assassiné dans un musée, abattu de plusieurs balles dans le dos par un illuminé invoquant des motifs politico-religieux liés à l'intervention russe dans la guerre en Syrie. Sur un "malentendu" pareil, une nouvelle guerre pourrait survenir, quand bien même on nous assure aussitôt du contraire au vu du contexte pour le moment apaisé entre turcs et russes. Pour le moment seulement. J'aurais tant à dire sur ce sujet, là encore. Mais écrire sur le poker, c'est tellement plus agréable. Enfin, dans la soirée, ce poids lourd fonçant sur les paisibles badauds allemands venus faire leur marché de Noël à Berlin a généré un carnage indescriptible rappelant l'épisode niçois du 14 juillet. Heureusement, Nice est leader du championnat de France de football et tout ceci est déjà oublié. Ou presque. Circulez, il n'y a rien à voir. J'aurais tant à dire sur ce sujet. Mais je m'abstiens : respirer poker, c'est nettement moins nauséabond, comme odeur. Du pain et des jeux ! Des OGM et du foot ! L'Empire occidental se porte bien. C'est écrit.

Les nuages noirs s'amoncellent petit à petit sur ce monde. Corruption des élites consanguines. Creusement du fossé des civilisations. Religion avilissante. Colère des peuples. Réchauffement climatique. Bientôt l'orage éclatera. Le monde tel que nous le connaissons est en train de se désagréger à vitesse grand V. J'assiste au délitement avec lucidité et quasi-indifférence, sans intervenir alors que j'entends le tonnerre gronder au loin, derrière les collines. Mais je me sens coupable de négligence, moi aussi. Car pendant ce temps-là, je joue au poker sous une ombrelle.


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