Au poker, il est de ces coups qui s'avèrent décisifs et marquants. Des coups que l'on n'oublie pas de sitôt eu égard à l'enjeu du moment : j'ai toujours en tête le coup final remporté il y a deux ans m'ayant permis de gagner mon voyage au Brésil. J'ai également toujours en tête une poignée de coups décisifs joués en ligne ou en live, qu'ils aient été gagnés ou perdus. Stockés dans ma mémoire de joueur passionné. Un vrai luxe de superficialité, lorsqu'on y pense.
Cette nuit, à l'occasion d'un tournoi majeur des Winamax Series, j'ai joué l'un de ces coups particuliers qui me marqueront pour longtemps, car il se trouve que j'ai disputé un gigantesque pot alors que nous n'étions plus qu'une quinzaine de survivants et que la table finale me tendait d'ores et déjà les bras puisque j'exerçais une réelle emprise sur ma table et que j'étais par ailleurs chip leader du tournoi à égalité avec mon adversaire. La table finale avait une dotation ultra-alléchante, puisque des lots de 10.000 euros et plus étaient attribués aux joueurs parvenant à se hisser sur le podium de ce tournoi.
Il existe une règle tacite de bon sens, au poker, qui veut que les détenteurs de gros tapis s'évitent soigneusement dans la dernière ligne droite, afin de ne pas subir un inutile accident de nature à les priver des dotations les plus juteuses de la table finale. Force est de constater que je n'ai pas respecté cette règle, puisque j'ai voulu jouer la gagne un peu tôt, en partant au combat frontalement contre mon adversaire... et que je n'ai pas remporté le pot au final en dépit de chances quasi-équivalentes. Dans le jargon du poker, on appelle ça un set-up.
Mon gain final aurait pu être dix fois supérieur à ce qu'il a été du fait de cette improbable élimination. Avant d'aller me coucher, j'ai bien entendu revisionné ce coup crucial, réfléchi à ses conséquences, aux milliers d'euros que j'aurais probablement obtenus si j'avais eu un soupçon de réussite, j'ai de nouveau réfléchi à la façon dont j'avais joué ce coup, essayé de voir comment il aurait pu en être autrement si j'avais adopté une attitude plus prudente.
rivière en crue... limon en vue (photo : Philippe Feldmann) |
Suite à mon élimination brutale, je n'ai pas réussi à trouver le sommeil du juste. Après un bref assoupissement, je me suis réveillé avec d'étranges sensations, en me repassant le coup en boucle dans ma tête et en maudissant mon manque de réussite dans ce moment crucial. Le temps a viré à l'orage et le tonnerre s'est mis à gronder, dehors. J'ai malgré tout esquissé un sourire en me disant que dans des moments tels que celui que je venais de vivre, l'adrénaline irriguait mes veines avec la même intensité qu'une rivière en crue. Au matin, il y aurait peut-être quelques dégâts à constater sur les berges...
Par la suite, mon sommeil en a été de nouveau perturbé, à tel point que j'ai longuement bataillé avec les draps et que j'en ai même rêvé, de ce maudit coup. Je me suis réveillé de nouveau, en proie à un début d'insomnie en raison du trop-plein d'adrénaline accumulé lors de la soirée. Une sensation très inconfortable à vivre sur le moment, mais qui a terme s'avèrera sans nul doute bénéfique pour moi. Car le limon charrié par les eaux en crue a un intérêt majeur pour le renouvellement de la fertilité des sols. Qu'on se le dise.
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