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dimanche 21 septembre 2025

Les freerolls de l'impossible

Hier samedi, ma fructueuse session de poker a été marquée par un événement insolite. De temps à autre, lorsque je débute ma session un peu plus tôt que d'habitude et qu'il me reste de la place sur mon écran d'ordinateur en attendant qu'arrive l'heure du démarrage de mes tournois préférés, je lance sur les coups de 19h15 un freeroll PLO ultra-turbo sur Winamax qui réunit des milliers de joueurs fauchés avides de glaner quelques centimes. 

Les tournois gratuits proposés par Winamax sont parmi les plus ingrats à jouer en comparaison avec la concurrence, en raison de leur affluence extrême, de leur chiche dotation et de leur format ultra turbo peu propice au beau jeu. Mais j'ai pour tradition de ne jamais bazarder mes tournois quels qu'ils soient, alors j'essaye toujours de jouer en étant un minimum appliqué. Mes tournois les plus importants sont en haut de mon écran tandis que ceux de plus faible importance finissent toujours relégués dans le coin en bas à droite, là où mon attention ne demeure jamais plus d'une fraction de seconde. Ma mosaïque accepte jusqu'à 12 tables en simultané sans chevauchement, et je vais rarement au-delà, sachant que nombre de mes tables sont en Omaha et que cela requiert un temps de réflexion avant prise de décision bien supérieur au Texas Hold'em.

Traditionnellement, lorsqu'il m'arrive de le jouer, je ne jette donc à ce freeroll qu'un regard distrait, même lorsque les places payées sont atteintes. Après tout, les paliers ne sont affaire que de centimes. Hier, ce tournoi a réuni 3 500 joueurs avec comme dotation globale à peine l'équivalent d'un plein d'essence. Un véritable bourbier : se frayer un chemin dans un tel tournoi me fait furieusement penser à ces routes impraticables que l'on retrouve dans le documentaire "Les routes de l'impossible" sur France 5.

Pendant les deux premières heures, j'ai donc laissé tourner ou presque, cliquant en une fraction de seconde et en m'occupant de mes vraies tables, celles où les tournois sont payants et où l'on joue pour autre chose que pour des clopinettes : le fait qu'il y ait pas mal de mes tournois qui se jouent en PLO et que la plupart d'entre eux soient au format KO absorbent toute mon attention. Le freeroll n'existe donc virtuellement pas à mes yeux. Mais à un moment donné, je constate que cette petite table tout en bas à droite demeure toujours active et qu'il ne reste plus que 30 joueurs encore en lice. A ce stade, mon véhicule n'a pas encore dévalé la pente malgré le fait que la route soit impraticable. Je commence donc à y accorder un début d'attention. Je constate que le festival des gratteurs de paliers a déjà commencé : des joueurs sans le sou ralentissent volontairement leurs prises de décision afin de pouvoir bénéficier de quelques centimes de plus en laissant d'autres joueurs se faire éliminer. A quinze joueurs restants, les tapis des uns et des autres deviennent faméliques : chaque décision ressemble à une sieste chronométrée, dans l’espoir de franchir des paliers de quelques dizaines de centimes tout au plus. En conséquence de quoi, la structure du tournoi s’écroule. Ainsi, en table finale, alors que nous sommes six joueurs, le tapis moyen plafonne à cinq blindes. Une parodie de poker où le talent n’a plus rien à voir, les décisions devenant binaires. Un freeroll, c’est toujours ça : beaucoup d’appelés, un prix ridicule, et une finale ruinée par la peur des fauchés, avides de gratter un ou deux euros de palier. Le cirque gratuit du poker en ligne.

Pour ma part, dépourvu de toute peur, je choisis la formule offensive, celle du tractopelle qui déblaye l'éboulement à flanc de falaise et poursuit sa progression. Je pousse mon tapis moins maigre que celui des voisins, je vole, je ramasse, je capitalise. Chaque blinde grappillée est un pas vers la victoire. Et les gratteurs de centimes, tétanisés, me regardent passer. Un à un, ils glissent dans le ravin. Le tête-à-tête final n'est qu'une formalité. Lorsque la poussière retombe et que le silence se fait, Winamax m'informe que je suis désormais plus riche de 27 euros.

Mais quelle aventure pour en arriver là ! 3 500 joueurs fauchés alignés pour une chiche cagnotte, dont les derniers survivants auront ralenti le jeu pour glaner un palier à peine suffisant pour se payer un chewing-gum. Un décor absurde, mais tellement cocasse. Un freeroll sur Winamax, c’est aussi ça : l’illusion d'un Everest pour joueurs désoeuvrés, le tout pour finir au sommet d’une taupinière. Quoi qu'il en soit, hier soir, je suis donc parvenu au bout de ce freeroll, au bout du chemin, pourtant théoriquement impraticable. Modeste gain - surtout en comparaison avec mon bénéfice de la semaine autrement plus confortable - mais immense plaisir que d'être parvenu à vaincre ce freeroll de l'impossible. Un petit triomphe symbolique qui me donne le sourire pour les prochains jours et qui restera dans mes souvenirs. Ce n'est pas tous les jours que l'on a la chance de pouvoir battre 3500 joueurs !


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