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jeudi 5 novembre 2020

Les chauffards du dimanche en mode confinement

On dit d'un chauffard du dimanche qu'il s'agit d'un conducteur qui dispose certes du permis de conduire mais qui ne se sert de son véhicule qu'en de rares occasions : le dimanche, les jours fériés et sur la route des vacances. De par son inexpérience, il maîtrise mal son véhicule et met la vie des autres en danger. Toutes proportions gardées, il en va de même avec le poker : il existe une catégorie de joueurs du dimanche, adeptes de prises de position exotiques, au point d'accroitre drastiquement les risques de collision et de sortie de piste brutale. Le plus souvent, avec des dommages collatéraux.

Le dimanche constitue ainsi traditionnellement une journée à part dans le calendrier des joueurs de poker, puisqu'il s'agit du jour de la semaine où débarquent aux tables ces cohortes de joueurs occasionnels aussi doués cartes en main que je le suis pour parler turc. La Turquie est un pays que j'adore par ailleurs : j'ai eu l'occasion de le choisir comme lieu de villégiature à diverses reprises par le passé. Sauf qu'après avoir prononcé le traditionnel"Meraba" pour dire "bonjour", il ne reste plus guère que "Tammam" dans mon répertoire sémantique afin d'exprimer quelque chose comme "OK". Au-delà de ces deux termes, je navigue à marée basse en plein brouillard : c'est déjà la fin du phosphore sur les rives du Bosphore. Pour en revenir à nos moutons, le dimanche constitue de facto le jour de la semaine où le joueur de poker expérimenté a le plus de chance de briller : des dotations plus juteuses (du fait de l'afflux de joueurs) disputées contre des adversaires pourvus de plans de jeu peu académiques (dont le niveau moyen est bien plus faibles qu'en semaine). Pour des raisons personnelles et familiales, je n'ai jamais été très présent aux tables de poker en ligne les dimanche. Les rares fois où je joue le dimanche, je hausse le sourcil plus haut que d'habitude face à certains moves improbables de la part de ces joueurs occasionnels.
 
L'image qui me vient spontanément à l'esprit à l'évocation de cette caste à part des chauffards du dimanche est celle de la collision Bourvil/De Funès dans le mythique film Le Corniaud que j'ai d'ailleurs eu le loisir de revoir avec plaisir pendant la phase du premier confinement survenu au printemps. Des chauffards confinés que je n'ai d'ailleurs que peu ou pas croisés, de par mon activité extrêmement réduite aux tables à ce moment-là.
 
Toutefois, avec l'émergence de la seconde vague de Covid-19 et le semi-confinement qui va avec, cette cohorte de chauffards du dimanche pointe de nouveau le bout de son nez aux tables à n'importe quel moment de la semaine. Le confinement imposé par le Gouvernement pour d'évidentes raisons sanitaires est certes moins strict qu'au printemps, mais suffisant pour conduire un nombre conséquent de chauffards du dimanche à venir croiser mon chemin aux tables. Depuis quelques jours, j'assiste donc à des coups bien plus folkloriques que d'habitude de la part de ces adversaires peu doués. Plutôt que sur les habituelles routes sinueuses et ravinées, on se croirait alors débarqué sur un circuit d'auto-tamponneuses, tellement ça cogne fort et ça tangue au moins choc. Ce qui est particulier au poker par rapport à d'autres jeux, c'est qu'avec une bonne dose de chance, des fois, même en faisant un peu n'importe quoi ça passe (même si souvent ça casse). Dans tous les cas, ça reste fun à voir et à vivre.
 
Jouer face aux chauffards du dimanche constitue un plaisir un peu coupable lorsque ça se passe bien pour moi. En spectateur, c'est particulièrement cocasse car il n'y a aucun affect pour venir altérer l'amusement du moment. Dans un cas comme dans l'autre, les étiquetages à base de pastilles de couleur pour ces joueurs sont bien plus fréquents que d'ordinaire. 
 
Sacrée variance ! Elle entretient l'illusion des chauffards du dimanche, en leur faisant parfois croire qu'ils pilotent leur bolide avec brio et que la chance seule suffit à les porter jusqu'à la ligne d'arrivée. Pour le joueur talentueux, la variance constitue le revers de la médaille : une pointe d'agacement peut également survenir lorsque la malchance vient perturber la moisson escomptée et que la récolte de blé s'envole, laissant place au fracas de la tôle ondulée. La moissonneuse-batteuse se mue alors en carcasse calcinée abandonnée en plein champs et il n'y a alors plus rien à glaner.
 
Les chauffards du dimanche ne respectent rien. Ils klaxonnent à tout bout de champ en éructant la bave aux lèvres, refusent les priorités avec un air bravache, grillent les feux avec la fougue d'un James Dean, et roulent parfois à contre-courant sur l'autoroute à toute berzingue.  Mais tout au bout du chemin, pour celui né sous une bonne étoile qui aura esquivé les collisions avec dextérité, il y a la perspective de voir s'agiter le drapeau à damiers et de récolter les lauriers de la gloire. Dans ces moments-là, le plaisir de la victoire supplante toutes les afflictions causées par les incessants accidents. 
 
Je vais arrêter ici la comparaison avec la route. Ca ne reste qu'un jeu. Au poker, il n'y a pas mort d'homme malgré la fureur de vivre qui nous habite parfois aux tables de poker. Alors vive les chauffards du dimanche confinés ! Et tant pis pour les accidents."C'est le jeu, ma pauvre lucette".


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