Ne pas connaître la peur constitue parfois une précieuse qualité au poker. Hier soir, au cours de ma session de poker en ligne, j'ai justement pu être le témoin d'un véritable petit miracle pendant l'un des tournois communautaires auquel je m'adonnais. One chip, one chair. Au poker, il suffit parfois d'un jeton pour aller
jusqu'au bout de l'émotion et goûter à la victoire en étant revenu du
diable Vauvert. C'est la magie de ce jeu.
Nous étions un peu plus de 200 joueurs inscrits. Le tournoi était d'un coût d'entrée modique, mais avec de grasses dotations ajoutées. Il faut dire qu'au bout de l'aventure, il y a un package live à aller chercher. Le tournoi a ainsi attiré un bon nombre de joueurs que je croise régulièrement aux tables, et je donc suis familiarisé avec la manière de jouer d'une bonne moitié des participants.
Dès le second niveau, alors que nous avons encore tous à peu près le stack de départ qui doit faire 150 blindes, je reçois une jolie paire d'as qui me permet de sur-relancer fortement le joueur premier de parole, qui est quelqu'un avec un profil rare : bien que pas vraiment mauvais, il a une inexplicable tendance kamikaze pré-flop, de telle sorte qu'il flirte en permanence avec l'élimination. De par son style de jeu, disons que c'est un joueur médiocre lorsqu'il
est profond en jetons et qu'il devient bon à mesure que l'étau se
resserre en fin de tournoi, son style de jeu devenant alors plus
efficace grâce à son audace et à son courage. Il n'en demeure pas moins qu'à ce jour, il est recensé selon les données compilées sur le site Sharkscope comment étant un joueur gagnant, à la faveur de quelques belles premières places obtenues en tournois importants.
Toujours est-il qu'après que j'eus sur-relancé ledit kamikaze, il se trouve que le joueur situé juste après moi me sur-sur-relance (4-bet), et connaissant son profil de véritable serrure, je me doute à ce moment là qu'il ne peut avoir que les As ou les Rois. Ne se démontant pas, notre kamikaze paie la sur-sur-relance conséquente de mon ami la serrure. Tandis que la parole me revient, je décide de ne pas faire dans la dentelle et d'envoyer directement mon tapis alors même que nous ne sommes qu'en tout début de tournoi. Les deux joueurs payent. Comme prévu, mon ami la serrure est bien pourvu, puisque ayant dans sa main les deux autres As du paquet, tandis que le kamikaze paie les 150 blindes demandées avec... Roi-Dix suités ! Verdict de l'abattage : circulez, il n'y a rien à voir. Les As ne sont pas battus et le pot est partagé équitablement entre mon ami la serrure et moi-même, tandis que le kamikaze se retrouve alors nu comme un ver, avec 1 seule blinde.
Une blinde, une seule. Contre environ trente ou quarante mille autres chez l'ensemble des participants à ce moment-là du tournoi. Sauf que voilà, la magie du poker va alors opérer. Il va doubler son tapis. Encore et encore. Et encore. Et encore. Malgré les cotes mathématiques défavorables de ses mains. Malgré l'augmentation des blindes. Tant et si bien qu'au bout d'une vingtaine de minutes, il s'extirpe de la zone rouge. Je me souviens m'être fait la réflexion qu'avec une telle bénédiction divine, il serait capable d'aller au bout du tournoi. Car lorsqu'un joueur ultra agressif de son acabit est en verve, il devient extrêmement difficile à arrêter (pour la simple et bonne raison que la pression qu'il exerce sur les autres joueurs à table est telle qu'il devient dangereux à mesure que son stack prend du volume). Et pourtant, nous étions encore au moins 160 joueurs en course à ce moment-là. Pressentant le miracle possible, je n'ai cessé au cours de la soirée de jeter un oeil amusé au classement du tournoi, le voyant inexorablement grimper vers les sommets tandis que les éliminations - y compris la mienne - se succédaient.
Les lauriers de la gloire pour l'illuminé du soir... |
Au final, le kamikaze a remporté le tournoi, au nez et à la barbe de joueurs autrement plus techniques. Le poker regorge d'histoires telles que celle-ci, et il faut l'avoir
vécue ou observée de près pour comprendre à quel point l'incertitude est
grande en tournoi. Rien n'est jamais acquis tant que le tournoi n'est pas fini. Un tournoi de poker, c'est un peu comme un champs de bataille : le champion olympique de fleuret ne gagne pas toujours face au barbare déchaîné dont la hache tournoie à tout va. Il est possible de compenser un déficit technique dès lors que l'on fasse preuve d'audace et que la chance décide de nous sourire. Et c'est tant mieux.
One chip, one chair. Partir de presque rien et rafler la mise. Que ce soit aux championnats du monde à Las Vegas ou au fin fond d'un obscur tournoi en ligne, les miracles de cet acabit sont toujours possibles. Les statistiques sont faites pour être défiées, cela n'en rend les histoires que plus belles a posteriori. Mais le haut-le-coeur n'est jamais loin lorsqu'on n'est pas soi-même le
protagoniste de ladite histoire et que les lauriers de la gloire
vont couronner un despote sanguinaire qui aurait dû périr dès la
première escarmouche venue, en parfait imbécile qu'il était à ce
moment-là. Sauf qu'au lieu de ça, on obtient un héros. C'est la magie du poker.
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