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vendredi 30 mai 2025

Une progression toute en lenteur...

Depuis le début de l’année, ma courbe de gains trace sa route, lentement. Elle monte, sans à-coups, sans éclats, sans panache. Mon taux de retour sur investissement (ROI) depuis janvier demeure étonnamment stable, autour des 25%. C’est bien, même si faute de jouer quotidiennement, les gains sont au final bien chiches. Ca demeure malgré tout très bien sur le papier. Mais étrangement, je ressens une forme de fatigue sourde, comme si cette progression n’était pas tout à fait vécue comme un plaisir. Car ce qui commence peut-être à me manquer un peu, en ce moment, ce n’est pas les gains mais l'intensité !

Ces dernières semaines, je joue. De façon appliquée, presque scolaire : mes décisions sont prises avec soin. Mes choix sont solides, les prises de risques minimes et calculées, ce qui fait que les erreurs sont au final très rares. Je termine ainsi mes sessions sans trembler. C’est propre, mais sans relief ni panache. Le genre de routine pas déplaisante en soi, mais que l'on aspire à quitter à un moment ou à un autre. Le quotidien à base de tournois de Omaha à faible et moyen coût paraît presque fade en dépit du fait que le Omaha génère davantage d'émotions que le Texas Hold'em.

Je ne fais pas de tournois marquants. Je ne vis pas de bulles particulièrement douloureuses. Pas de gros tournoi joué, cela se traduit par la raréfaction des possibilités d'obtenir des performances décisives. Juste une longue marche tranquille, ponctuée de quelques petits gains épars standards. Certes, tout fonctionne : preuve en est, mon logiciel de suivi Xeester m'affiche des courbes ascendantes, tant en termes de gains réels que de performances théoriques ! Tout fonctionne donc plutôt bien… mais sans le feu, sans la grinta, sans le panache du flambeur, sans qu'au final je sois amené à réellement vibrer, donc. Aucune sueur froide sous les aisselles.

J'en viens donc à me poser la question : le poker sans pics émotionnels réguliers a-t-il encore une saveur, une odeur qui stimule mes sens ?

Lorsque le quotidien devient maîtrisé, dépourvu de risque, qu'on évite les embardées mentales, qu’on accepte les coups du sort sans frémir car sans enjeu d'importance, que me reste t'il à me mettre sous la dent ? Il me reste le jeu en lui-même. Nu. Mathématique. Dénudé de tout le drame habituel dans lequel la communauté de joueurs adore se draper. Le poker devient actuellement pour moi un pur exercice d’exécution. C'est provisoire, mais cela m'amène à réfléchir sur mon rapport au jeu : il y a là un vrai travail mental à l'oeuvre.

Il faut apprendre à aimer la lente montée, celle qui ne se célèbre pas, mais qui construit la solidité du joueur sûr de sa force. Apprendre à jouer sans en attendre d’extase immédiate. Apprendre à progresser sans fanfare. Je suis convaincu que c’est dans une période telle que celle-là que je peux encore évoluer sur le plan mental : cela ne se traduit pas par des résultats immédiats, mais fait partie d'un processus de maturation mentale. Certes, le corps réclame des sensations et de l'adrénaline ; certes l’égo grogne dans son coin ; certes j'ai l'impression que chaque semaine ressemble à la précédente, sans éclat ni relief. Mais à la vérité je poursuis mon chemin. Des milliers de joueurs très talentueux et/ou professionnels ont déjà explosé en vol et quitté les tables de poker. Moi, Fredyl, je suis toujours là. Imperturbable. Conscient de mes forces. Toujours passionné, quand bien même la passion ait désormais été en grande partie apprivoisée.

Je crois que ce moment m’apprend quelque chose de fondamental : le poker enseigne aussi l’attente. L’attente lucide, active. Celle qui sait que les grosses performances reviendront sans que l'on soit obligé de forcer son destin. Celle qui continue de travailler, même sans se fixer de dates butoir. Celle qui accepte de jouer 200, 500 ou 1 000 tournois d’affilée sans adrénaline, si c’est le prix à payer pour être prêt le jour J. L'attente.

Je me complais dans le calme du moment. Je suis satisfait de déceler dans ma routine une forme de luxe plutôt qu'un début de lassitude. J’essaie de garder à l'esprit que si je ressens parfois ce qui pourrait s'apparenter à un début d'ennui, c’est parce que j’ai atteint une stabilité émotionnelle que beaucoup de joueurs pourraient m'envier. Derrière mon taux de retour sur investissement stable, il y a du sérieux, du contrôle, et une forme de constance mentale que très peu de joueurs possèdent.

Alors je poursuis ma route, en disputant des tournois sans grands enjeux. Sans héroïsme, sans drame, sans fureur. Du moins, pour le moment. Peut-être qu’un jour pas si lointain, je relirai ces lignes depuis le sommet d’une performance XXL, en me rappelant que c’est aussi ici, dans ce creux de 2025, que tout s’est construit.

vendredi 2 mai 2025

Les mains jumelles : chronique d'un naufrage en stéréo

Il y a quelques jours de cela, j'ai décidé de faire une session poker du soir ultra light, seulement quatre tournois à faible coût, afin de me permettre de pouvoir regarder du coin de l'oeil un match de football en parallèle. C'est en général une pratique à bannir que de se laisser distraire pendant une session, mais de temps en temps je m'autorise une petite dérogation telle que celle-ci à mon protocole de rigueur.

Très vite, je suis éliminé d'un premier tournoi, et il ne me reste plus que trois tables actives. Mes tables sont donc de taille plus grande que d'accoutumée. A un moment, il s'est passé quelque chose d'assez insolite, tant d'un point de vue statistique que visuel, à savoir que j'ai vécu deux mains jumelles à trois joueurs exactement au même instant, sur deux tables de deux plateformes différentes : Winamax et ParionsSport.

Je décide de faire tapis préflop avec As-Dame alors que je dispose dans un premier cas de 20 blindes et dans le second cas de 13 blindes... et je suis payé par exactement les mêmes mains chez mes deux adversaires à chacune des deux tables, puisque de leur côté ils possèdent respectivement Dame-Roi et une paire de 7. Je ne m'attends bien évidemment pas à gagner les deux coups, puisque je sais que je n'ai à chaque fois qu'un tiers de chances de remporter le pot. Mais le fait est que l'abattage se produit en simultané sur les deux tables et que je me retrouve éliminé à la river dans un cas comme dans l'autre : cocasse ! En moins de cinq secondes, l'ascenseur émotionnel aura été intense pour mes deux yeux.

Statistiquement parlant, se retrouver avec deux mains jumelles lors d'une session arrive de temps à autre lorsque cela nous oppose à un seul adversaire, mais là, avec deux adversaires distincts à chaque fois et à la seconde près, les probabilités étaient infinitésimales. Au poker, tout peut arriver. Et tout finit par arriver, d'ailleurs : il suffit pour cela de jouer non-stop pendant des milliards d'années. Sinon, à l'échelle d'une vie, il n'y a que des anomalies statistiques plus ou moins marquées.

Alors que reste-t-il, une fois les jetons partis et les écrans noirs de silence ? Une sensation étrange. D’avoir été le héros tragique d’une farce cosmique. D’avoir assisté à un bug dans la matrice, ou peut-être à une leçon d’humilité sur la nature profondément chaotique du jeu. Car au final, on ne retient pas que les bad beats. On retient surtout leur mise en scène. Et là, franchement, le metteur en scène s’est surpassé. Merci au Dieu du Poker de m'avoir fait vivre pareil moment ! Ca me fera un beau souvenir... et cette double élimination en stéréo m'aura permis regarder la fin de mon match dans de meilleures conditions, en Dolby Surround... et surtout sans risque accru de strabisme !