De par la valse incessante de jetons lorsqu'on s'adonne à une session de poker en ligne, il y a des soirs où ce jeu semble vouloir inventer une chorégraphie étrange, totalement improbable. Je ne parle pas ici d'une session de rêve, pas non plus d'un enfer de coups perdus, mais bel et bien d'un moment suspendu entre tension, hasard et coïncidences. Ce soir, j’ai vécu l’un de ces petits moments cocasses qui confèrent au poker tout son sel.
Trois tournois de Pot Limit Omaha (variante que je pratique avec assiduité). Disputés sur trois plateformes différentes, à savoir Winamax, Bwin et PokerStars. Et pendant près d'une demi-heure, je me suis dit que je vivais là un moment de poésie (et de sueurs froides) puisque j'ai vécu les trois bulles de ces trois tournois exactement au même moment de la soirée, alors même qu'il s'agissait de mes trois dernières tables encore actives, entre 22h40 et 23h15.
Dans les trois, je me suis retrouvé dans le ventre mou du peloton. Loin des chip leaders, mais pas non plus en train de dépérir. J'ai vécu ces trois bulles dans une situation presque douillette, engoncé dans ce bon vieux ventre mou, ce territoire instable où chaque coup peut certes vous propulser vers le top mais également vous éjecter dans l’anonymat en cas de mauvaise rencontre face à un joueur plus grassouillet que soi.
J'ai déjà révélé ici que j'avais une tendance à être plus offensif que de raison au moment des bulles de mes tournois, mais ce soir, j'étais dans une stratégie très raisonnable. J'ai donc surtout fait figure de figurant plutôt que de protagoniste principal. Mes trois bulles du soir ont vraiment mis beaucoup de temps à éclater, c'en était presque irréel de voir tous ces joueurs agonisants à tapis avec Dame Chance qui semblait prendre plaisir à les sauver à chaque fois, en dépit de tout bon sens, en semblant faire un pied de nez aux probabilités.
Dans des conditions pareilles, un joueur avisé est bien inspiré de garder un oeil sur la situation de chacune des tables où ses adversaires s'affrontent, et le jeu bascule dans une autre dimension, puisqu'on en vient de facto à devenir supporter des adversaires richement dotés en jetons, au détriment des joueurs en queue de peloton, qui frôlent l'élimination à chaque coup tellement leurs blindes restantes sont faméliques. Il faut aussi de son côté savoir composer avec le chrono qui égrène les secondes : plus on joue soi-même tard à sa table et moins on risque l'accident. Tous les joueurs un tant soit peu aguerris le savent : a la bulle, les coups ont souvent tendance à se jouer avec une lenteur parfois exaspérante. Quoi qu'il en soit, c'est également dans cette phase-là que l'on peut hypothéquer ses chances de succès final si on se laisse rogner ses blindes en ayant peur de l'accident tragique qui nous fait sortir à l'orée des places payées. La peur de perdre est ici omniprésente, et dicte parfois aux joueur cet excès de prudence qui fait que d'autres sauront en profiter : certains joueurs en position confortable et bien inspirés savent profiter d'un tel moment pour se constituer un matelas supplémentaire qui leur permettra d'aborder la dernière ligne droite dans les meilleurs conditions qui soient.
En Omaha, franchir une bulle constitue un moment plus délicat, plus subtil qu'en Texas Hold'em : avec tant de tirages, la tentation d’y aller “parce que ça peut passer” est grande. Mais au moment de la bulle, il faut sélectionner ses batailles à livrer avec un extrême discernement. Ce soir, tout est passé tranquillement pour moi. De façon étonnamment synchronisée. Mais ce que je retiens surtout de cette session, c’est cette étrange harmonie temporelle que je viens de vivre : trois bulles simultanées, de même durée, qui se sont comme enchevêtrées devant mon écran d'ordinateur, se prolongeant pendant de très, très, longues minutes. Un timing absurde, que j'aurai pourtant vécu somme toute sereinement,en observateur amusé.
Au final, peu après l'éclatement de ces trois bulles et mon entrée dans les places payées, je me suis fait éjecter dans les trois cas somme toute assez rapidement, avant même de pouvoir prétendre à ne serait-ce qu'une seule victoire finale. Mais j'aurai au moins au le privilège de vivre cette situation cocasse comme si j'avais joué un bout de ma session littéralement au ralenti. De quoi rendre ma session du soir moins fade : je saurai donc m'en contenter pour cette fois-ci.
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