Une fois la fin du day 1 prononcée et les jetons rangés dans les
sachets, je ne m'attarde pas et décide de rentrer au plus vite me
reposer tandis que d'autres joueurs plus vaillants découvrent les joies
du bingo loufoque animé par un génial olibrius aux faux airs de Saul
Goodman. BINGO ! Un heureux veinard décroche ainsi
gratuitement son buy in pour la grande finale qui aura lieu dans
quelques mois sans avoir le moindre effort à faire cartes en main.
Dimanche, le réveil sonne. Changement d'accoutrement pour moi. Je
revêts un T-shirt usé à manches longues qui me rajeunit de quelques années. Je me sens bien. Le jour s'est levé avec une heure de retard (comme moi la
veille), si bien que j'arrive cette fois-ci à La Villette nettement en
avance. Sur les coups de 10h, les portes de La Grand Halle sont
de nouveau ouvertes aux survivants ainsi qu'aux repêchés de la veille.
J'exhibe fièrement mon bracelet argenté à l'entrée et vais flâner
quelques instants à l'étage du côté de la petite cafeteria puis,
poursuivant mon chemin sur la passerelle, du coté de la boutique Winamax.
Les articles exposés sont chouettes : on peut les acheter en sonnantes
et trébuchantes en lieu et place des habituelles transactions en miles
sur le site internet de la plateforme.
Nous sommes encore 255 joueurs à la reprise effective du tournoi. La configuration est
exactement la même que la veille... même table et mêmes adversaires que
la veille au soir. Les premières places payées sont immédiatement à
notre portée ; 250 joueurs sont récompensés de la manière suivante : un
buy in direct pour la grande finale (d'une valeur de 500 euros chacun)
pour les 42 premiers et des clopinettes plus ou moins acides pour les
208 autres.
La pré-bulle saute dès la deuxième main disputée. C'est loin d'être la
liesse à ma table, tout le monde a surtout en tête les 42 premières
places, celles qui envoient vraiment du rêve. L'ambiance reste cordiale.
Certains présents à cette table iront jusqu'au bout. Reste à savoir
lesquels. Mes mains de départ sont nettement moins sexy que celles de la
veille. Et pourtant, je surnage. Je monte à 300.000 jetons alors qu'il
reste 150 joueurs sur les 2.500 de départ.
La table casse un peu avant la pause déjeuner. J'implore la demoiselle
du floor qui m'accompagne à ma nouvelle table de ne pas me jeter dans un
traquenard. Clémente, cette dernière esquisse un sourire tandis qu'elle
me laisse découvrir un merveilleux panorama. La plage est dorée, aucun
aileron de requin à l'horizon ! Je me sens béni. Las ! Trois minutes
plus tard, le marchand du temple de la veille avec lequel j'ai entamé la
journée, celui qui a raté de peu une carrière de poissonnier toute
tracée se retrouve immédiatement à ma gauche, avec un stack qui dépasse
le million de jetons. Deux fois encore, il me mettra en difficulté alors que mon jeu était meilleur que celui de mes adversaires sur le point d'être éliminés. Lui, il prospère encore et
fait le ménage à table à ma place. Pour compenser mon début de
tristesse il m'offre un bonbon.
Il reste à peine plus de 100 joueurs au moment de la pause déjeuner et
c'est pour moi l'entrée dans la zone rouge. Je sirote un jus d'orange
sans plaisir et avale un jambon beurre au goût fade en maudissant mon
manque de réussite ainsi que mon désert de cartes du moment.
Avant la reprise, je croise Pierre Calamusa, alias LeVietFou devant les marches qui conduisent
aux WC. Il sifflote le sourire aux lèvres, après avoir manifestement
brillamment réussi son grand oral puisqu'une MasterClass était prévue en
fin de matinée. De tous les ambassadeurs de la marque au W, c'est
probablement celui qui a le mieux compris les tenants et aboutissants de
sa fonction.
Mon élimination surviendra peu après le retour de la pause déjeuner
vers 14h30, contre ce maudit bonimenteur, dans des conditions
quelque peu rocambolesques. Je pousse mes 8 fragiles blindes avec un Roi-Valet suité
vulnérable alors qu'il est au bouton avec son puissant As-Roi et ses deux
millions de jetons. Et puisqu'il est au bouton, la distribution lui
incombe : il dévoile les trois premières cartes du flop avec une
certaine désinvolture ; désinvolture qui s'accentuera sensiblement après
qu'il ait révélé un T provisoirement salvateur pour moi. Sa
désinvolture se mue alors en tempête, et la 4e carte claque bruyamment
(une brique ne change rien à la situation), et il abat alors la 5e carte
comme une tornade... la carte va ainsi directement rejoindre le muck en
désordre constitué par les main de départ couchées par tous les autres.
La carte ne s'est pas retournée du tout. Il y a un léger doute, mais le
dealer au tempérament volcanique extirpe du tas une carte - probablement
la bonne mais sans certitude - qui s'avèrera être bénéfique pour lui,
puisqu'elle lui permet de toucher couleur river. Je demeure interdit et
ne dis rien. Un joueur à la table fait la moue et prend la parole pour
dire que le coup ne s'est pas tout à fait disputé dans les règles et
qu'il faudrait peut-être appeler le juge-arbitre (floor), ladite 5e carte du board
ayant directement rejoint le muck en désordre sans qu'elle ait été
retournée. Il y a un réel début de flottement à la table, mais étant bon
perdant et ayant un certain code de l'honneur, je renonce à demander l'arbitrage et me lève pour quitter les lieux.
Sur le petit carton que me remet un des membres de l'organisation, il y est
écrit que je termine à une honorable mais peu glorieuse 94e place. On y
était presque, cette fois encore. Mais on repart avec des clopinettes.
Cette fois encore. La fois de plus. Mais pas la fois de trop.
Etonnamment, cette seconde journée de compétition à La Villette aura
furieusement ressemblé à ma seconde journée du Hip'Hop Poker Tour vécue
il y a trois petites semaines de cela du côté de l'hippodrome de
Vincennes. La performance XL était à portée de main... et la sortie de
piste survint tout proche du but, dans un cas comme dans l'autre dans des conditions un peu particulières. Enfin, bon, c'est le jeu...
Tout à ma déception, je me décide aussitôt à ne pas trainer pour rentrer, et regarde avec intérêt le stream de la table TV où le WIP CarbonRH
(ancienne gloire des jeux vidéo) fait un carnage en carbonisant à
petits feux ses adversaires au fur et à mesure que la vraie bulle
approche, celle des 43 derniers survivants. Parmi les joueurs qui
récoltent le précieux sésame pour la grand finale, j'entraperçois au
moins 3 des joueurs de ma table de la veille au soir contre lesquels
j'ai bataillé à la reprise. Il est aussi un peu là, mon lot de
consolation... car je suis content pour eux. Quant à moi, ma tristesse est là. Mais elle sera vite oubliée.
Ce jeu est
un éternel recommencement. Et je l'aime.