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lundi 14 avril 2025

Triple bulle, mais pas triple buse !

De par la valse incessante de jetons lorsqu'on s'adonne à une session de poker en ligne, il y a des soirs où ce jeu semble vouloir inventer une chorégraphie étrange, totalement improbable. Je ne parle pas ici d'une session de rêve, pas non plus d'un enfer de coups perdus, mais bel et bien d'un moment suspendu entre tension, hasard et coïncidences. Ce soir, j’ai vécu l’un de ces petits moments cocasses qui confèrent au poker tout son sel.

Trois tournois de Pot Limit Omaha (variante que je pratique avec assiduité). Disputés sur trois plateformes différentes, à savoir Winamax, Bwin et PokerStars. Et pendant près d'une demi-heure, je me suis dit que je vivais là un moment de poésie (et de sueurs froides) puisque j'ai vécu les trois bulles de ces trois tournois exactement au même moment de la soirée, alors même qu'il s'agissait de mes trois dernières tables encore actives, entre 22h40 et 23h15.

Dans les trois, je me suis retrouvé dans le ventre mou du peloton. Loin des chip leaders, mais pas non plus en train de dépérir. J'ai vécu ces trois bulles dans une situation presque douillette, engoncé dans ce bon vieux ventre mou, ce territoire instable où chaque coup peut certes vous propulser vers le top mais également vous éjecter dans l’anonymat en cas de mauvaise rencontre face à un joueur plus grassouillet que soi.

J'ai déjà révélé ici que j'avais une tendance à être plus offensif que de raison au moment des bulles de mes tournois, mais ce soir, j'étais dans une stratégie très raisonnable. J'ai donc surtout fait figure de figurant plutôt que de protagoniste principal. Mes trois bulles du soir ont vraiment mis beaucoup de temps à éclater, c'en était presque irréel de voir tous ces joueurs agonisants à tapis avec Dame Chance qui semblait prendre plaisir à les sauver à chaque fois, en dépit de tout bon sens, en semblant faire un pied de nez aux probabilités.

Dans des conditions pareilles, un joueur avisé est bien inspiré de garder un oeil sur la situation de chacune des tables où ses adversaires s'affrontent, et le jeu bascule dans une autre dimension, puisqu'on en vient de facto à devenir supporter des adversaires richement dotés en jetons, au détriment des joueurs en queue de peloton, qui frôlent l'élimination à chaque coup tellement leurs blindes restantes sont faméliques. Il faut aussi de son côté savoir composer avec le chrono qui égrène les secondes : plus on joue soi-même tard à sa table et moins on risque l'accident. Tous les joueurs un tant soit peu aguerris le savent : a la bulle, les coups ont souvent tendance à se jouer avec une lenteur parfois exaspérante. Quoi qu'il en soit, c'est également dans cette phase-là que l'on peut hypothéquer ses chances de succès final si on se laisse rogner ses blindes en ayant peur de l'accident tragique qui nous fait sortir à l'orée des places payées. La peur de perdre est ici omniprésente, et dicte parfois aux joueur cet excès de prudence qui fait que d'autres sauront en profiter : certains joueurs en position confortable et bien inspirés savent profiter d'un tel moment pour se constituer un matelas supplémentaire qui leur permettra d'aborder la dernière ligne droite dans les meilleurs conditions qui soient.

En Omaha, franchir une bulle constitue un moment plus délicat, plus subtil qu'en Texas Hold'em : avec tant de tirages, la tentation d’y aller “parce que ça peut passer” est grande. Mais au moment de la bulle, il faut sélectionner ses batailles à livrer avec un extrême discernement. Ce soir, tout est passé tranquillement pour moi. De façon étonnamment synchronisée. Mais ce que je retiens surtout de cette session, c’est cette étrange harmonie temporelle que je viens de vivre : trois bulles simultanées, de même durée, qui se sont comme enchevêtrées devant mon écran d'ordinateur, se prolongeant pendant de très, très, longues minutes. Un timing absurde, que j'aurai pourtant vécu somme toute sereinement,en observateur amusé. 

Au final, peu après l'éclatement de ces trois bulles et mon entrée dans les places payées, je me suis fait éjecter dans les trois cas somme toute assez rapidement, avant même de pouvoir prétendre à ne serait-ce qu'une seule victoire finale. Mais j'aurai au moins au le privilège de vivre cette situation cocasse comme si j'avais joué un bout de ma session littéralement au ralenti. De quoi rendre ma session du soir moins fade : je saurai donc m'en contenter pour cette fois-ci.

lundi 31 mars 2025

Savoir résister à la tentation du bazardage.

A plusieurs reprises ces dernières temps je me suis retrouvé derrière mon écran d'ordinateur quelque peu dépité, englué dans des soirées poker particulièrement éprouvantes, de celles où l'on peut croire que l'on fonce tout droit vers le zéro pointé (que l'on appelle affectueusement dans le jargon poker "la cagoule"), avec une élimination précoce de la plupart des tournois dès 22h. Des moments désagréables où l'on se retrouve avec pour seule pitance un ou deux tournois de faible importance... et un espoir de rentabiliser la soirée déjà évanoui, ou presque.

Vivre une soirée galère au cours de laquelle rien ne semble aller, c'est somme toute quelque chose d'assez familier pour un joueur régulier. Même si fort heureusement ce n'est pas le cas de figure le plus courant, cela advient malgré tout de temps en temps pourvu que l'on joue souvent. L'épisode est particulièrement désagréable à vivre, à tel point que la tentation de bazarder son ou ses derniers tournois du soir peut alors poindre, à mesure que la frustration et le désespoir grandissent. L'excuse que l'on peut alors se trouver consiste à vouloir passer en mode ça passe ou ça casse, en jouant anormalement agressif dans l'espoir de se retrouver avec un gros tas de jetons dans le ou les tournoi(s) restants, pour que cela en vaille la peine de prolonger sa soirée plutôt que d'agoniser à petit feu en ayant au final la désagréable impression d'avoir prolongé inutilement son calvaire.

C'est pourtant un mauvais calcul que de vouloir jouer le tout pour le tout dans de pareils moments (et ça ressemble à une forme de tilt). J'essaye de résister le plus possible à pareille tentation, sachant que des retournements de situation fructueux à même de sauver une soirée sont plus probables en demeurant concentré et d'humeur égale plutôt qu'en voulant forcer le passage. La variance étant inhérente au poker, il faut savoir composer avec toutes les situations que le Dieu du Poker nous propose. Et prendre son mal en patience lorsque l'on boit la tasse dès le premier plongeon.

Le poker est un jeu d'opportunités. Et bazarder son dernier tournoi du soir constitue une perte d'opportunité inexcusable ! Même lorsque la session est particulièrement rude, il suffit parfois d'un podium ou d'une victoire pour inverser le cours des choses alors même que la soirée semblait promise à une authentique noyade.

Pourtant, ce n'est pas parce qu'on l'on a perdu plusieurs coups clefs à la suite et que les élimination s'enchainent précocement que toute la soirée va être placée sous le signe de la malchance pour autant. Il faut ainsi continuer à y croire tant qu'on l'on est engagé dans au moins un tournoi, fusse-t'il à faible enjeu. A défaut de finir la soirée gagnant, pouvoir sauver les meubles ne serait-ce que partiellement à l'aide d'un dernier tournoi où l'on se sera défendu becs et ongles peut constituer une performance en soi, sachant que nombreux sont les joueurs qui n'y parviendront pas dans une telle situation. C'est en effet en continuant à jouer son A-game en toutes circonstances, y compris dans les moments d'adversité et de malchance chronique, que l'on parvient à être un joueur gagnant sur le long terme. La discipline est une qualité qu'un vrai bon joueur doit pouvoir posséder. Pas question de saccager sa dernière cartouche du soir, sachant qu'elle peut encore faire mouche.

Ne pas oublier non plus que bon nombre de joueurs moyens ou médiocres vont augmenter leurs erreurs au fur et à mesure que la soirée va avancer, à la faveur d'un coup de fatigue, d'un coup de pression les mettant en tilt ou bien d'une envie d'en finir prématurément par manque de patience, de discipline ou d'endurance. Rester soi-même concentré en toutes circonstances permet de demeurer à l'affut d'un coup de mou adverse.

Lors de mes soirées poker particulièrement arides, mon instinct de compétition - celui que je cultive en moi depuis ma tendre enfance et qui ne m'a jamais abandonné depuis - me dicte de toujours continuer à m'accrocher, quel que soit le type de situation que je rencontre. Même si cela ne conduit à rien de concret le plus souvent, on parvient malgré tout de temps à autre à sauver les meubles en restant concentré et appliqué avec une seule table encore ouverte. Et parfois même l'improbable retournement de situation survient avec une session s'achevant par des gains nets alors que l'on aura été dans le rouge toute la soirée durant !

En conclusion, sachant que c'est en continuant à maximiser son espérance de gain en toutes circonstances que l'on parvient à remplir ses objectifs de rentabilité effective sur le long terme, il convient donc de s'accrocher en toutes circonstances. Le poker est aussi un jeu de gestion de sa propre frustration. Il ne faut donc jamais bazarder une session, même lorsqu'elle est particulièrement mal engagée. Car tant qu’il y a un jeton, il y a un espoir.

mardi 25 mars 2025

A pas menus

Cela fait maintenant deux mois que je joue au poker à pas menus, à raison d'un ou deux soirs par semaine environ. Indifférent à la variance. Indifférent à toute forme de pression. Indifférent aux différentes promotions et autres championnats qui ont jadis fait le sel de mes sessions. Mais attention, cette indifférence du moment ne constitue pas une mauvaise chose, pour peu que l'on veille bien y regarder à deux fois !

Une chose est certaine : on est actuellement loin de l'apathie, bien au contraire. Mon indifférence du moment me permet de me ressourcer mentalement. J'ai actuellement moins d'adrénaline dans mes veines, et c'est pour ainsi dire tant mieux. Afin d'éviter toute usure ou fatigue mentale, il faut parfois savoir ralentir la cadence, a fortiori lorsqu'on a identifié que l'on ne se sent temporairement pas capable de maintenir le rythme soutenu auquel on s'astreint en temps normal. J'en profite pour dormir un peu plus et ça me fait du bien, c'est certain !

Rouler pied au plancher en permanence esquinte pneus et moteur, et les risques de sortie de piste sont démultipliés pour qui ne sait pas ralentir. Savoir doser son tempo et son volume de jeu judicieusement constitue une qualité dont on parle assez peu dans le milieu du sport et de la compétition en général, mais qui peut s'avérer en définitive déterminante lorsqu'il s'agit d'optimiser ses performances en surfant sur la vague lors des périodes fastes mais également en sachant prendre en considération les petits coups de mou passagers qui ne manquent pas de survenir à un moment ou à un autre.

En ce moment, que mes sessions soient gagnantes, perdantes, neutres, chanceuses ou malchanceuses, rien ne vient troubler ma quiétude. Mes résultats sont ce qu'il sont, je ne ressens nul besoin de consacrer le moindre influx nerveux supplémentaires à une lecture subjective de la situation. Le poker est aussi affaire de hasard, de flux et de reflux, alors je laisse couler. Rien ne m'atteint. Je suis sur ma trajectoire et je continue donc à avancer à pas menus, tranquille et serein, en attendant de pouvoir reprendre prochainement une cadence plus soutenue une fois ragaillardi.

mardi 25 février 2025

Quand Juliette Armanet se décide à "Sauver Ma Vie"

J'aime jouer le soir au poker avec un peu de musique en guise de fond sonore. J'ai d'ailleurs déjà rédigé par le passé un ou deux articles à ce propos, il y a quelques années, du temps où je m'épanchais davantage sur ce blog.

La musique, donc. Pour maintenir de la régularité dans ma concentration. Au fur et à mesure que la soirée avance, la musique n'est pas la même. Il est très fréquent que je démarre une soirée poker en compagnie d'un peu de Jazz. Ocassionnellement, il m'arrive de démarrer avec de la musique classique, de la country américaine ou bien encore un peu de variété française. Mais vers la fin de la soirée, un rituel musical d'un autre type se met parfois en place. Depuis maintenant près de deux ans, lorsque les choses se corsent pour moi alors que le money time arrive et que je me retrouve en table finale d'un tournoi très chichement pourvu en jetons au bord de l'élimination, je me résous à abattre mon joker final, celui que je garde au chaud jusqu'au moment le plus critique : Juliette Armanet ! Je mets alors en boucle sa chanson "Sauver ma vie".

Cette chanson devient alors pour moi un authentique mantra de minuit, me rapprochant d'un état de transe pokeristique durable. Non seulement mon degré de concentration se retrouve aussitôt à son zénith, mais bien que n'étant pas à proprement parler superstitieux, j'y vois-là malgré tout une ode à Dame Chance ; je la supplie de m'accorder des tirages favorables me permettant de rester vivant dans le tournoi encore un peu. Suffisamment pour que je puisse gratter un premier palier. Voire deux ou trois, tant qu'à faire. Et pourquoi pas jusqu'à la victoire finale, qui sait ? L'essentiel pour moi dans ces moments-là est de parvenir à survivre. Sauver ma vie. Encore et encore.

Toutes les fois où Juliette répète "sauver ma vie" dans la chanson, je sens que je suis sur la corde raide mais je n'ai pas peur. J'ai la sensation de danser tel un derviche tourneur au bord d'un précipice. Je vibre à l'unisson avec elle. Avec le rythme de sa chanson. Avec ses paroles. Avec son visage. Avec sa voix. Avec mes cartes. Alors je m'accroche. Jusqu'au coup suivant. Et encore jusqu'au suivant. Encore. Encore et encore. Je sais que je vais prendre les bonnes décisions. Mon tournoi ne fait plus qu'un avec la chanson, qui continue de vibrer inlassablement en moi tant que je résiste à l'élimination qui me guette et qui peut survenir à tout moment. Parfois, c'est vrai, je suis presque aussitôt éliminé et mon rituel n'aura alors duré qu'une petite minute. Mais si je suis en veine et que je survis longtemps, ledit rituel armanétien peut s'étaler sur une bonne heure, voire au-delà. La symbiose peut alors pleinement opérer.

Outre son rythme entrainant, certains passages de la chanson m'apparaissent sinon prophétiques du moins troublants de similitude avec les divers sentiments que je m'apprête à vivre puisque toutes les situations de jeu que je peux être amené à rencontrer au cours des prochaines minutes y sont répertoriées, quand bien même la chanson n'ait dans l'absolu rien à voir avec le poker.

"Tonnerre sur ma terre, j'ai le coup de minuit" : Le commencement. C'est fréquemment vers minuit que le money time survient à mes tables de poker et que je lance la chanson.

"Lâcher ton cœur, j'ai peur, mais je dois sauver ma vie" : ne t'enflamme pas Fredyl, tu peux coucher ta main ici, tu auras d'autres occasions de faire tapis. Laisse un autre faire le kamikaze à ta place. Commence par gratter un palier. Patience.
 
"Tonnerre, tout s'éclaire comme un coup de génie" : Boom. Je remporte un coup crucial et double mon tapis pour sortir de la zone rouge ! Je peux enfin commencer à envisager la victoire finale.
 "Je ne sais pas comment faire, mais je dois sauver ma vie" : Je traverse un désert de cartes et suis en train de périr à petits feux. Mais ce n'est pas fini, je vais bien finir par trouver une ouverture à un moment ou à un autre.
 "L'un de nous deux était de trop" : C'est le moment de dire bye bye ; soit à un adversaire qu'on vient d'éliminer... soit à soi-même !
 "Le soleil n'ira pas plus haut, c'est ainsi" : Fin du tournoi pour moi, je suis éliminé !
 
"Tonnerre, ma prière tout d'un coup m'éblouit" : Soit Dame Chance me file un coup de main et je remporte un coup alors que les probabilités n'étaient pas en ma faveur, soit ma traversée du désert s'achève et je débute une phase de rush qui me propulse vers le haut du classement.
 "Tu as joué, je perds, je ne veux plus d'ennemis" : C'était mon dernier tournoi du soir, je déconnecte.
 
"Tonnerre, pour te plaire j'avais tout réuni" : J'ai bien joué mon coup mais j'ai perdu et je suis éjecté du tournoi par pure malchance.
 "Mais mon soleil ira plus haut, c'est écrit" : Je gagnerai la prochaine fois, je le sais !
 
Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : lorsque Juliette Armanet se décide à "Sauver ma vie", elle me pénètre l'esprit jusqu'aux tréfonds de mon âme. Juliette, si un jour tu lis ces lignes, sache que tu m'habites pour la vie. Tu es ma muse poker. Et je t'en suis à jamais reconnaissant.
 
 

 
 

lundi 6 janvier 2025

Mépriser, oui, un peu. Détester, non, jamais.

A mes tables de poker en ligne habituelles, je croise souvent les mêmes têtes, c'est un fait. Bien davantage que le joueur de poker standard. S'agissant du Texas Hold'em, je continue à baigner dans les tournois communautaires, un petit milieu constitué de moins de cinq cent joueurs que l'on croise et recroise à longueur d'année. Et en ce qui concerne le Omaha ou le Omaha Hi-Lo c'est là aussi un petit microcosme fait majoritairement de joueurs réguliers. Dans ces conditions, on a vite fait de se trouver une tête de turc au moindre accroc, ce qui aura comme conséquence d'influer négativement sur notre niveau de jeu.

Idéalement, les sentiments n'ont pas leur place au poker : il ne faut avoir ni trop de considération, ni crainte excessive, ni aucune haine envers ses adversaires. Les seules fantaisies que l'on peut se permettre sans dégrader son jeu se résumeront à un peu de respect et un zeste de mépris. Mais pas plus, car au-delà de ses cartes et de ses jetons le poker est un jeu de stratégie, mais aussi de patience et d'équilibre émotionnel. L’intensité des parties, l'égo et les enjeux financiers ont tôt fait de donner naissance à une des émotions parmi les plus dangereuses : la haine envers un adversaire. Cette attitude, bien qu'en partie compréhensible dans un contexte compétitif, s'avère contre-productive à plusieurs égards. On peut haïr la défaite. Mais surtout pas l'adversaire !

Je te déteste !!!

La détestation d'autrui est une émotion intense et envahissante. À une table de poker, elle peut naître d’une provocation, d’une défaite humiliante ou d’une série de coups de malchance face à un même adversaire. Pourtant, céder à cette émotion équivaut invariablement à perdre son équilibre mental. Le poker requiert une lucidité à toute épreuve : lire les intentions de l'autre, déduire les probabilités et masquer ses propres émotions autant que faire se peut. Se mettre à détester son adversaire brouille immédiatement ce processus. Le jugement est alors altéré, ce qui incite à des prises de décision impulsives, voire irrationnelles, nous éloignant de notre objectif premier : la victoire finale.

Sombrer dans la détestation d'un adversaire transformera un jeu stratégique en une vendetta personnelle qui risque de nous laisser sur le carreau de façon prématurée. En voulant coûte que coûte rabattre le caquet de celui que l'on s'est mis à détester, on finira par commettre des erreurs cruciales : miser trop, jouer des mains faibles ou ignorer d'autres joueurs à la table qui représentent pourtant des cibles nettement plus exploitables. La détestation peut même nous rendre prévisible, puisque nos actions seront alors presque uniquement tournées contre l'adversaire ciblé. Dans les cas d'accumulation excessive de cette même détestation, le tilt intégral contre toute la tablée n'est pas à exclure. Si les autres s'en rendent compte, ils pourront exploiter notre vulnérabilité nouvelle. Dans un jeu où la maîtrise de soi est clé, laisser nos émotions prendre le dessus constitue un échec indépendamment du résultat de la vendetta que l'on aura menée. Même l'élimination du joueur ciblé ne garantit pas un retour immédiat à l'équilibre émotionnel, puisqu'une espèce d'euphorie toute aussi préjudiciable est susceptible de prendre le relai une fois la phase de détestation rendue caduque par le trépas de l'adversaire initialement ciblé.

Au-delà de l'aspect émotionnel, il y a aussi une dimension éthique et spirituelle à ne pas se laisser déborder par le ressentiment envers autrui. Le poker constitue un espace où respect et rivalité coexistent dans un périmètre délimité, à savoir la table de jeu. Laisser la détestation d'autrui, voir la haine s'installer ternira notre karma d'une manière ou d'une autre. Et je ne parle même pas ici de la perte de réputation que cela peut induire en live.

Lorsque je sens un début de détestation envers un adversaire, j'ai pris pour coutume de prendre une profonde respiration, fermer deux secondes les yeux, et évacuer une telle émotion négative. De toutes les manières le bluff, les coups de chance et même les provocations  à base de trash talk de la part de l'adversaire font partie du jeu. Il est là pour gagner, lui aussi et il se sert des armes dont il dispose. J'ai d'ailleurs une gommette de couleur réservée aux joueurs que j'ai estampillés fragiles des nerfs et lorsque le moment est propice, je me permets parfois de leur glisser une petite pique sur le chat ou leur montrer un bluff en sachant que cela risque de les faire sortir de leurs gonds. Je ne haïs pas, je charrie juste un peu parfois. En revanche, me faire détester - voire insulter - par l'adversaire ne me dérange pas puisque cela lui fera commettre davantage d'erreurs.

Le poker est un miroir : en y jouant, on peut bien souvent y voir le reflet de nos forces et nos faiblesses émotionnelles. Apprendre à dompter la haine, c'est aussi apprendre à maîtriser ses émotions dans d'autres sphères de la vie. Rester lucide, serein et autant que faire se peut respectueux à une table de poker permet non seulement d'améliorer nos performances, mais également de grandir en tant qu’individu, en gagnant en maturité. Mes récents problèmes personnels m'auront probablement permis de mieux intégrer cet aspect dans ma pratique du poker au quotidien. Je ne déteste jamais vraiment mes adversaires. Je m'autorise juste à les mépriser un peu parfois. Et c'est peut-être déjà trop.

En conclusion, l'excès de sentiments à une table de poker assombrit inutilement notre parcours de joueur et ralentit notre développement personnel. En cultivant la sérénité et le respect, on devient non seulement un meilleur joueur, mais aussi une meilleure version de soi-même. Le plaisir d'une victoire construite sera toujours supérieur à celui de la destruction d'un adversaire, qu'on se le dise.