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mardi 22 mai 2018

Les pastilles douces-amères

Profiler correctement ses adversaires au poker afin d'adopter à leur encontre la stratégie la plus exploitante possible constitue une étape importante sur le chemin du jeu optimisé et du A-game. A cet effet, les plateformes de poker en ligne permettent à leurs utilisateurs de catégoriser un style de jeu adverse à l'aide de Post-it visuels prenant la forme de notes de jeu mais aussi et surtout de codes couleurs que l'on appelle aussi les "pastilles", quand bien même la colorisation effective du pseudo du joueur adverse que l'on vient de profiler revête en pratique des formes géométriques variées. A titre personnel, le profilage et la prise de notes de mes adversaires est un exercice auquel je m'adonne avec tout à la fois le sérieux d'un écolier zélé et le sourire narquois du cancre espiègle. Productivité et plaisir, en somme.

Prendre des notes sur le style de jeu de ses adversaires, c'est bien. Encore faut-il que lesdites notes soient pertinentes et propices à une efficience de son jeu accrue face à l'adversaire que l'on vient de profiler. Pour ce faire, il ne faut surtout pas oublier de continuer à calibrer sa riposte face au déséquilibre de jeu constaté chez l'adversaire, sans tomber dans le piège de l'affect ni dans celui de la polarisation, sinon ce petit jeu du profilage risque de s'avérer bien peu rentable à l'avenir, voire très couteux dès lors que l'ego s'immisce dans le processus menant à la prise de décision finale. Aussi, il convient de garder à l'esprit que ce petit jeu consistant à sortir délibérément des sentiers battus pour mieux pousser l'adversaire dans le ravin constitue un exercice risqué à ne pas prendre à la légère, sous peine de précipiter sa propre chute.

Aujourd'hui, lors d'un tournoi communautaire, je me suis fait insulter à diverses reprises par un joueur au tempérament sanguin dont le style de jeu par ailleurs médiocre semble ne connaitre aucune subtilité. Les joueurs les moins doués sont aussi souvent les moins polis à une table, c'est un fait. Dois-je estampiller son pseudo de la couleur bleue des joueurs sanguins que je me complais à titiller pour les pousser à la faute, ou bien alors de celle rose fuschia des mauvais joueurs capables des calls les plus improbables avec des mains complètement dominées ? Petit dilemme vite résolu, la prise de notes en parallèle étant là pour édulcorer l'aspect monochrome de sa pastille.

Toujours est-il qu'ayant titillé sur le tchat ce joueur suite à une décision catastrophique qu'il venait de prendre, j'ai donc reçu en retour de sa part une giclée de fiel malodorante.... et en guise de conclusion, pour mieux justifier le bien-fondé de ses insultes, il m'écrit la phrase magique suivante : "de toute façon ça fait longtemps que je t'ai pastillé comme fish". CQFD. Force est de reconnaitre que mon style de jeu atypique "exploitant" faisant la part belle aux dynamiques de tables, aux profils adverses et aux momentum de tournoi plutôt qu'aux seules cartes en mains déplait fortement à pas mal de joueurs ; car c'est en effet le type de remarque que j'entends assez fréquemment... le plus souvent de la part de joueurs "cumulards" dans leur manque de subtilité ludique ET verbale. Mais au poker, on est toujours le fish d'un autre. Intérieurement, je rigole de savoir que des joueurs se croyant malins m'ont incorrectement étiqueté, car je sais que sur le long terme, leurs tactiques contre moi seront truffées d'erreurs... il ne me reste alors plus qu'à garder l'oeil ouvert afin de ne pas tomber dans le piège de la paille et de la poutre. Puis, viendra le temps de la moisson, inévitablement. Car le poker est aussi un jeu de patience.



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