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samedi 24 juin 2017

Mes images simples du bonheur : hommage posthume à Véronique Robert


A mes yeux, le mot liberté n'est pas un vain mot, car il se trouve que je suis un être humain qui cultive sa propre liberté bien davantage que la moyenne. Ceci m'a causé pas mal d'ennuis, dans la vie. Mais cela m'a aussi procuré quelques moments de bonheur pur. Mon profond goût pour la liberté explique d'ailleurs en partie pourquoi je me suis autant senti subjugué par le poker dès l'instant où je me suis réellement intéressé à ce jeu. Car le poker constitue un formidable vecteur de liberté, puisque tout est virtuellement possible lorsqu'on démarre une session de jeu, que ce soit lors d'une partie en ligne ou en live. C'est ainsi que contre toute attente, si l'on devait me demander quelles images mon cerveau a choisi pour illustrer au mieux ma définition du bonheur authentique et sans artifices, outre les souvenirs intimes liés à la famille, je repense spontanément à ce chien errant qui m'a adopté le temps de mon de séjour à La Serena au Chili il y a quelques années, mais je me remémore aussi le sourire radieux de la journaliste suisse Véronique Robert lors de mon premier tournoi live payant de poker, au Cercle Clichy Montmartre de Paris il y a trois ans. Ces deux souvenirs-là, pourtant anodins, font partie des plus précieux que je possède. Pour rien au monde je ne souhaiterais les oublier.


A La Serena, petite ville tranquille du Chili fréquentée par bon nombre de baroudeurs et autres backpackers occidentaux, j'ai fait la connaissance à mon hôtel de Fiona, une charmante blondinette anglaise, avec laquelle j'ai arpenté la ville deux jours durant, du matin au soir, flanqué d'un chien errant qui avait décidé de nous adopter le temps de notre passage, sans que l'on sache bien pourquoi. Ce chien nous a suivis partout. Lorsque nous nous arrêtions pour nous restaurer, il s'arrêtait sagement devant l'établissement. Idem lorsque nous pénétrions dans une boutique. Nous l'avons nourri et abreuvé le plus naturellement du monde, dans une sorte de symbiose, sans que jamais il ne joue la carte de l'apitoiement. Plus incroyable encore : il a dormi deux nuits de suite devant le porche de notre hôtel, attendant à chaque fois patiemment notre sortie, sans se départir de sa fidélité, au point de nous escorter jusqu'au terminal de bus lorsque Fiona et moi repartîmes vers d'autres horizons. Je repense encore au dernier regard empli de nostalgie - voire de détresse - que nous avons échangé par la vitre de l'autocar au moment du départ, sachant que ce chien errant venait de me procurer la veille un souvenir magique et inoubliable, une image authentique de ce que j'appelle le bonheur.
Le phare de La Serena, Chili

La veille, alors que nous nous promenions en marchant sur le sable, les pieds déchaussés, le long de la plage aux abords du phare de La Serena, ce chien facétieux s'était littéralement rué contre les vagues afin de se rafraichir, alternant courses endiablées derrière les mouettes et promptes baignades dans les rouleaux. Sans oublier de malgré tout suivre notre cadence, à Fiona et à moi, épousant notre rythme au fur et à mesure de notre progression le long de la plage et se secouant dès que possible, projetant contre nous des gouttes d'eau salées dans un maelstrom humide empli de joie, de chaos et d'insouciance. Humant alors la brise iodée et contemplant ce chien pourchassant les mouettes à nos côtés par pur plaisir, j'ai parfaitement souvenir de m'être dit que le moment que je vivais là, avec Fiona à ma gauche et ce chien espiègle à ma droite, correspondait parfaitement à ma définition de ce qu'est le bonheur. Un moment simple, une tranche de vie dont la beauté se suffit à elle-même. Ce jour-là, j'ai ressenti la liberté pour ce qu'elle est vraiment : un pur moment de bonheur vagabond. Un fabuleux trésor pour mon âme. Un souvenir aussi futile qu'inoubliable.



Une image simple du bonheur
Véronique Robert, reporter de guerre, était probablement elle aussi une femme profondément éprise de liberté. Il n'y a qu'à observer le parcours qui fut le sien pour s'en convaincre. Pour exercer un métier tel que le sien, dans les endroits les plus dangereux du globe, sans se départir ni de sa bonne humeur, ni de sa féminité, ni de son professionnalisme reconnu de tous, il fallait bien qu'elle fût femme d'exception, carburant à l'adrénaline. Véronique Robert était une authentique fan de poker, bien connue des cercles de jeux parisiens. Pas forcément la plus douée. Mais assurément l'une des plus passionnées par ce jeu. Lorsque je me suis qualifié pour mon premier tournoi live payant, la finale du Winamax Poker Tour au Cercle Clichy Montmartre, j'ai eu la chance d'avoir Véronique Robert à ma table. Je ne la connaissais pas. Mais elle m'a profondément marqué, au point de laisser à jamais gravé dans mon esprit une authentique image du bonheur. Non pas parce qu'elle était la seule femme de la table. Non pas pour son collier scintillant, ses bagues aux reflets chatoyants, son look soigné lui conférant un style impeccable et une blancheur de colombe. J'ai perdu un énorme pot contre elle qui m'a lourdement handicapé pour la suite du tournoi... j'ai pesté contre elle, certes, mais je ne lui en ai pas voulu le moins du monde. Si cette personne m'a profondément marqué, c'est tout simplement parce qu'il émanait d'elle une immense bonté : elle était heureuse d'être là, assise à une table de poker entourée d'inconnus, véritable colombe immaculée parmi les rapaces, faucons et vrais cons, présents à la table. Et tandis que la nuit était déjà bien avancée, nos regards se sont longuement croisés à un moment : elle a alors choisi cet instant anodin pour m'offrir le plus chaleureux sourire qu'une femme m'ait jamais fait de toute ma vie. Et quand j'emploie le mot offrir, je mesure pleinement le sens de ce mot. A ce moment précis, j'ai compris qu'elle m'offrait un échantillon gratuit de bonheur. Et je lui en suis éternellement reconnaissant. Car le bonheur via le poker, c'est aussi ça : le partage d'instants de vie anodins, sans prétention ni barrière sociale, avec comme seule véritable monnaie d'échange la complicité et la bienveillance de regards échangés dans le cadre d'un simple jeu.

Le simple fait d'évoquer ce souvenir merveilleux laissé par Véronique Robert, qui constitue pour moi la parfaite image du bonheur futile et magique tout à la fois là encore, suffit à embrumer mes yeux pour la dixième fois aujourd'hui, sinon plus. Et à l'instant où je rédige ces lignes, des larmes coulent silencieusement le long de mes joues. Car Véronique Robert a succombé à ses blessures ce samedi 24 juin 2017, après avoir été grièvement blessée par l'explosion d'une mine à Mossoul en début de semaine, alors qu'elle tournait un reportage pour Envoyé Spécial le magazine d'information de France 2. Je veux que tous ceux qui aiment le poker et qui lisent ces lignes sachent que cette femme restera à jamais au panthéon de mes plus beaux souvenirs. Car elle a su m'irradier de bonheur, d'un simple sourire un soir, autour d'une table de poker.


Les plus belles image du bonheur sont souvent parmi les plus improbables ou les plus anodines. Puisse l'âme de Véronique Robert reposer en paix. Elle fut un phare contre l'obscurantisme en tant que journaliste. Mais elle fut aussi lumineuse en tant que joueuse passionnée de poker. Sa lumière subsistera en moi au travers de cet incroyable sourire.




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