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jeudi 29 juin 2017

Frais deal

Si je n'avais pas une morale aussi élevée, j'aurais certainement été un commercial de grand talent. Fredyl vendeur de cheminées. Ou de voitures de sport. Avec des commissions aussi juteuses que peu méritées, dans le fond. Ma profonde indifférence vis-à-vis de l'argent et mon sens inné de la justice m'ont toutefois vacciné contre ce type de virus fondé sur le matérialisme pur et dur.

Impossible néanmoins d'oublier ce séminaire dans le Morvan auquel j'eus la chance de participer lors de mon ultime année d'études. Notre directeur, homme pragmatique, avait cru bon de booster le capital négociation de ses étudiants, en faisant appel à deux intervenants de choc spécialisés dans des mises en situation et autres jeux de négociation et d'improvisation : trois ou quatre jours durant, mes camarades de promotion et moi partîmes ainsi nous isoler, afin que nous soient dévoilées les arcanes de la négociation. Grand amateur de jeux de rôle, fin stratège, plein d'empathie et calculant de façon intuitive à grande vitesse le champ des possibles, je me montrai particulièrement à mon avantage lors de ce séminaire. Au point de marquer les esprits de mes camarades de promotion et des intervenants. Ce fut pour moi un jeu d'enfant. Dans tous les sens du terme. Mais je me suis promis de ne pas abuser de ce talent de négociateur-né dans la vraie vie. Car il devient presque systématiquement vecteur d'injustice. Tirer la couverture à soi, c'est consentir cyniquement à la pneumonie d'autrui. Et j'ai du mal à le supporter, car j'aime mon prochain autant que moi-même.

Venons-en maintenant au poker. L'échelle des gains des tournois (hors satellites) est bâtie de façon exponentielle, afin d'appâter le chaland. De la sorte, le vainqueur final empoche à lui seul une part substantielle de la dotation (environ 15 à 20% de la cagnotte totale récoltée par les inscriptions). On se dit que l'être humain est bien facile à berner : quand bien même il n'y ait qu'un seul gagnant au final, le montant promis au gagnant est tape à l'oeil à l'extrême, et accentue l'envie de participer. Ceci explique d'ailleurs en partie pourquoi le poker de tournoi est un jeu de frustration permanente. Le dotation alléchante promise au vainqueur entretient à merveille ce jeu de dupes !

Quoi qu'il en soit, pour que la frustration d'une place d'honneur ressentie sur le plan ludique ne soit pas systématiquement couplée avec la frustration financière que génère l'écart de gains entre les premiers, et afin de lutter contre des paliers aux allures de paroi trop lisse pour les ultimes survivants, les casinos ainsi que les plateformes de poker en ligne permettent le plus souvent de négocier les montants répartis entre les derniers joueurs en lice, afin de faire en sorte d'atténuer quelque peu la variance, et notamment d'amoindrir la frustration d'un hypothétique bad beat. On négocie, donc. Dans le jargon du poker, on appelle ça un deal, tout comme dans le milieu des affaires.

Beaucoup de choses ayant été dites depuis des années sur les forums par des professionnels du monde du poker sur le deal des montants, je vais éviter d'entrer dans les détails mathématiques trop techniques et quelque peu rébarbatifs (edge supposé, répartition des gains selon la notion d'ICM ou bien au prorata des jetons, etc.) et me contenter de livrer ici quelques observations empiriques issues de mes expériences propres. Le poker est un jeu ; dès lors, négocier à son avantage n'est pas vraiment truander (quand bien même cela génère un impact sur le plan financier) : ça fait pleinement partie du jeu ! Puisque je sais que parfois les deals en live réservent des surprises de taille, je songe au jour où ceci pourrait m'arriver pour des montants substantiels. Après tout, remporter des tournois live d'envergure, ça figure au programme de ma conquête du poker. Alors autant être à l'aise dans toutes les disciplines du poker, y compris dans celle, relativement peu fréquente, de la négociation.

A bien y réfléchir, partant du postulat que je suis techniquement plus doué que mes adversaires, je devrais accepter de dealer bien moins souvent que la moyenne lorsque arrive l'occasion de négocier mes fins de tournoi avec un crayon et une calculette plutôt qu'avec les cartes en main. Mais depuis quelques mois, curieux de tester par moi même les vices et vertus des deals négociés en fin de tournoi, j'ai tendance à m'inscrire bien davantage que par le passé sur des tournois en ligne dont le nombre de participants est modeste, ce qui a pour conséquence que je peux ainsi maximiser mes chances de me retrouver en table finale, prêt à négocier la répartition des gains. Dès que l'occasion se présente, j'exprime donc de façon récurrente ma volonté de parvenir à un deal. Ces tests - s'agissant de petits deals le plus souvent simplistes - me permettent ainsi de peaufiner ma connaissance et ma maîtrise de cet aspect bien particulier du poker, afin de mieux définir ma marge de manoeuvre potentielle. Il y a pas mal de ressorts psychologiques à appréhender, en dehors des considérations purement mathématiques. De ce fait, mon apprentissage par l'expérimentation est loin d'être superflu.

Sachant qu'en ligne celui habilité à proposer les montants est celui qui est provisoirement leader du tournoi (sauf sur PokerStars où c'est un modérateur qui intervient), mes tests en matière de deal sont particulièrement intéressants lorsque je suis aux manettes et que je peux ainsi essayer de gratter quelques euros dans la négociation, l'air de rien, afin de déterminer le taux d'acceptation implicite des parties adverses dans des circonstances données (à 2, à 3 ou à 4 joueurs, le tout en fonction du profil et des motivations de chacun). Pour le moment, je maintiens ce rythme consistant à accepter de négocier fréquemment, même si  je prévois à terme de stopper ce petit exercice de style. Voilà donc un bon moyen de travailler à moindres frais mes gammes dans une discipline, la négociation, qui pourrait s'avérer importante un jour futur en live. A condition bien entendu que le Dieu du Poker soit d'accord avec mes projets !



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