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vendredi 24 avril 2015

Le chat, cette arme de destruction massive...

Il m'aura fallu du temps pour le comprendre mais dans un jeu, il n'y a pas que des gagnants et des perdants : il y a aussi des instants précieux de partage, de complicité et de respect, indépendamment du résultat, peu importe en outre qu'il s'agisse d'un jeu individuel ou par équipes.

un Chat, c'est dangereux
Il y a quelques années de cela, lorsque je m'adonnais à Guild Wars - mon jeu vidéo de prédilection qui était prisé conjointement par les joueurs récréatifs (pve) ainsi que par les joueurs compétitifs (pvp) - il y a une chose qui ne manquait pas de m'étonner chez certains de mes contacts lorsque je les sollicitais pour une petite partie : ils se connectaient le soir non pas dans le but de jouer, mais uniquement afin de tchatter avec leurs amis joueurs connectés, anciens frères d'armes virtuels avec lesquels ils souhaitaient surtout continuer à échanger, plaisanter, partager des vieux souvenirs (et accessoirement regarder et commenter ensemble quelques combats en mode replay). Par ailleurs, lors des affrontements par équipes, l'usage du chat à des fins de trashtalk de l'équipe adversaire pouvait parfois suffire à déstabiliser les adversaires au moral le plus friable. Toutes proportions gardées, il en va un peu de même au poker : le chat a une dimension sociale importante, tout comme il peut parfois s'avérer être bien plus qu'un simple gadget et devenir une arme non conventionnelle.

Merci Winamax pour le Winachat
Nous sommes en 2015, cela fait plusieurs années maintenant que le marché du poker en ligne est régulé sur le territoire français et ouvert à une concurrence féroce censée stimuler la créativité des opérateurs... j'ai pourtant bien peur que les opérateurs français n'aient pas encore pris la pleine mesure de la dimension sociale de ce qu'est un jeu, car il gèrent leur plateforme de poker avec un manque réel d'empathie vis-à-vis des joueurs, à l'exception notable de Winamax (et de PKR dans une moindre mesure). Pourquoi Winamax est-il le seul opérateur français à accorder de l'importance à son système de chat alors même que c'est pourtant un facteur important en matière de convivialité dans un jeu tel que le poker et que l'austérité des interfaces rebute sans doute des joueurs potentiels par dizaines de milliers ? Mystère. Au vu de l'offre proposée par les opérateurs aux joueurs, force est de constater qu'ils sous-estiment l'importance du chat comme facteur de plaisir ludique et comme vecteur de lien social.

Pourtant, il existe bel et bien une catégorie de joueurs qui se contrefiche de perdre quelques euros aux tables de poker dès lors qu'en contrepartie lui soit accordé un semblant d'interactivité ludique et de convivialité. C'est d'autant plus regrettable qu'il s'agit selon moi d'une catégorie de joueurs qui devrait être particulièrement choyée car à même de générer des revenus réguliers pour les opérateurs, s'agissant surtout de joueurs à l'âme récréative et ludique, venus aux tables de poker essentiellement pour se distraire plutôt que dans le but réel de gagner de l'argent. A titre personnel, j'aime gagner - c'est inscrit dans mon ADN - mais dans une bonne ambiance, tant qu'à faire. D'ailleurs, si j'ai tellement pris plaisir à jouer sur EuroPoker, c'est en grande partie en raison de son chat général - commun à tous les connectés - qui permettait aux joueurs d'avoir la sensation de faire partie d'une même communauté. J'en conserve un souvenir emprunt de nostalgie et de tendresse, nonobstant l'ardoise laissée par l'opérateur lors de sa fermeture qui m'impacte douloureusement.

Lorsque je me connecter sur des logiciels utilisant les réseaux antédiluviens que sont Ipoker (Betclic-Everest-Univet-TurboPoker) et PartyGaming (PMU-Bwin-PartyPoker), je me demande à chaque fois comment ces gens font pour ne pas voir les faiblesses criantes de leur plateforme. Et surtout pourquoi personne ne se décide à y remédier. Ecrire sur le chat relève parfois du parcours du combattant et suscite bien souvent une crise de nerfs avant que de pouvoir procurer un semblant d'échange et de dialogue, tellement le fil de discussion est incommode à suivre. Sans oublier certaines syllabes d'anglais automatiquement censurées et les accents qui ne sont pas tolérés sur le logiciel PartyGaming : rien de plus crispant qu'un message censuré et/ou effacé, surtout lorsqu'il est totalement anodin et dénué de la moindre insulte. Il faut le voir pour le croire, tellement le niveau de ces plateformes est en dessous de zéro du point de vue de l'importance accordée au chat. A croire que ces réseaux ont embauché des ingénieurs informatiques particulièrement apathiques et que leur direction générale est retranchée dans sa tour d'ivoire sans pouvoir mesurer l'ampleur du problème. Confondre les échecs et le poker me parait hautement hasardeux. Même le mastodonte PokerStars n'est pas exempt de tout reproche non plus à ce sujet : leur logiciel est certes de qualité correcte, mais il est loin d'être à la hauteur de ce que l'on pourrait atteindre du numéro un mondial du marché disposant d'un budget développement plus que conséquent.

Il y a quelques jours de cela, après avoir été éliminé d'un tournoi communautaire (suite à un gros coup de malchance) qui se disputait sur Winamax, plutôt que de fermer aussitôt la table, je suis demeuré de longues minutes à chatter avec mon bourreau ainsi que deux ou trois autres interlocuteurs. C'est ainsi qu'après avoir longuement argumenté sur le déroulement de la main qui me fut fatale, la discussion a quelque peu dérivé sur d'autres sujets tout aussi triviaux, et notamment sur les logiciels concurrents. Et à un moment donné, l'un des protagonistes a laconiquement exprimé un regret : "Barrière Poker me manque". Cela fait pourtant dix-huit mois que l'opérateur Barrière Poker a refermé les portes de sa salle de poker en ligne, après avoir essuyé continuellement des pertes auxquelles la FDJ et les Casinos Barrière - partenaires d'infortune dans cette aventure Barrière Poker - n'étaient pourtant pas accoutumés.

Cette remarque anodine, m'a conduit à me remémorer mon souvenir le plus marquant du temps où j'ai pu jouer sur Barrière Poker. Un jour, ayant empoché un ticket de 50 Euros et désireux de le convertir en cash en réduisant au maximum la variance, je m'étais inscrit à un tournoi de type head's up. Un seul adversaire à vaincre, donc. Peu familiarisé avec ce logiciel, je m'étais inscrit par mégarde pour un duel de Pot Limit Omaha au lieu du traditionnel Texas Hold'em, à une époque où je maîtrisais encore assez mal les subtilités du Omaha. Inutile de préciser que mon adversaire était quant à lui familiarisé à ce format et que je n'étais pas favori. Je me souviendrai longtemps de ce duel. Non pas parce que ce fût un duel plein de panache et de revirements de situations, mais bien parce que c'est ce jour-là que j'ai définitivement compris toute l'importance d'un élément déterminant du poker et assez peu mis en avant par les joueurs : le mental. Mon adversaire relançait 100% des mains en inondant le chat de remarques destinées à m'ébranler psychologiquement telles que "merci fish", "t'es vraiment nul OMG", "comment tu peux chater un coup pareil ?", "tu fais vraiment n'importe quoi, petit fishou", "merci pour tes jetons", "LOL c'est pas vrai tu joues comme un manche". J'en passe et des meilleures. Notre duel a duré de très longues minutes. Et ce jour là, j'ai transpiré. Vraiment. Physiquement, j'étais en nage assis sur ma chaise. Car mon adversaire m'a pilonné mentalement tout le long de notre duel, de la première à la dernière minute : sans jamais entrer dans l'insulte directe, mais en étant en permanence à la limite de ce qui peut être toléré à une table. Et je l'ai combattu à ma manière, en feignant d'être un total débutant et en prenant l'air gêné du type qui gagne les coups par hasard... ce qui a paradoxalement eu au final le don de le déstabiliser davantage que je n'ai pu l'être moi-même. Et bien que j'aie au final remporté ce duel au forceps, j'en suis sorti mentalement éprouvé. Je me souviens qu'il m'a fallu de longues minutes pour décompresser et m'en remettre.

J'ai la chance d'avoir un mental extrêmement solide. C'est d'ailleurs peut-être l'une de mes principales qualités. Mais après avoir vécu ce duel d'une exceptionnelle intensité mentale j'ai mesuré combien un usage judicieux du chat pouvait être utile contre des adversaires mentalement friables ou à l'ego mal canalisé. J'en faisais d'ailleurs usage occasionnellement déjà de façon intuitive en laissant transparaître quelques pointes d'ironie de-ci de-là, afin d'évacuer un début de frustration personnelle mais aussi et surtout dans le but inavoué et inavouable de réveiller l'ego démesuré de certains adversaires, mais c'est à partir de ce jour-là que j'ai définitivement cessé de considérer l'usage du chat comme un banal vecteur de lien social ou même comme un simple défouloir. Le chat est bien plus que ça : c'est aussi une arme puissante, pour peu que l'on sache s'en servir en appréhendant la dimension mentale à sa juste valeur. J'évoque ici divers cas de figure (pacification en trompe l'oeil, provocation, conjuration du mauvais sort, raffermissement d'une emprise psychologique, intoxication) mais il y en a quelques autres possibles en cherchant bien :
  • 1. Distraire les adversaires en instaurant un climat convivial à table tout en restant soi-même concentré. Ceci a pour effet d'atténuer l'agressivité des adversaires à table à mon encontre, puisque je véhicule à ce moment-là une image sympathique et les adversaires vont avoir tendance à moins vouloir m'éliminer du tournoi tant que la discussion n'est pas achevée. Amadouer ses adversaires pour en diminuer l'agressivité, c'est accroitre ses propres chances de succès dès lors que l'on reste soi-même sur le qui-vive. 
  • 2. Titiller l'orgueil des adversaires par des remarques ironiques bien placées, lorsqu'ils commettent une erreur manifeste (peu importe qu'elle soit gagnante ou perdante), de telle sorte que désireux de me rabattre le caquet au plus vite ils se décident à rompre sans s'en rendre compte l'équilibre risque/récompense et se montrent ainsi vulnérables.
  • 3. Faire usage d'ironie à table lorsque le sort s'acharne contre moi. Nul besoin de sombrer dans le trashtalking, une petite pique bien sentie suffit amplement. Cela permet d'évacuer la mauvaise pression en cas de revers de fortune (simple défouloir) mais il se peut en prime que cette pression une fois évacuée aille aussitôt s'installer sur l'adversaire, ce dernier se mettant alors à culpabiliser et/ou à douter, en pensant que puisqu'il était statistiquement dominé à ce moment-là, son succès n'est pas mérité et qu'il a par ailleurs affaire à un adversaire peut-être plus compétent/inspiré que lui.
  • 4. Raffermir une emprise psychologique déjà existante. Dans un registre assez proche, je peux avoir à utiliser le chat avec quelques mots en apparence neutres mais pourtant particulièrement choisis et destinés à accentuer un ascendant psychologique déjà présent sur un adversaire précis dont je connais le profil. En ce qui me concerne, ceci ne fonctionne que dans les tournois communautaires et autres championnats de longue haleine, puisque mes adversaires y sont souvent les mêmes. Mais si j'étais un joueur de cash game confronté à des adversaires récurrents, je ne manquerais pas d'y recourir le plus fréquemment possible.
  • 5. Feinter ses adversaires en leur communiquant des informations trompeuses. N'oublions pas que le poker est aussi un jeu d'informations. Après tout, donner gratuitement de fausses informations à son adversaire me paraît être de bonne guerre. C'est pourquoi j'ai pour coutume de confesser avoir eu une main qui n'était pas celle que je possédais vraiment lorsqu'il s'agit de discuter du coup précédent et que ma main n'a pas été jusqu'à l'abattage. Cela aura pour effet de diminuer toute forme de lisibilité sur mon jeu, et les chances que mes adversaires commettent une erreur d'analyse contre moi par la suite s'en retrouvent accrues.
Il est intéressant de constater que les quelques aspects évoqués ci-dessus peuvent tout aussi bien s'appliquer à une gestion astucieuse de n'importe quel conflit armé. Ce sont les accumulations de petits détails de cette sorte qui permettent parfois de remporter les batailles les plus indécises. Le poker est un combat des temps nouveaux, et chaque paramètre permettant de réduire l'aléa compte, y compris le plus anodin. Quand bien même elle ne soit susceptible d'accroitre les chances de succès que de manière marginale, une utilisation astucieuse du chat ne doit pas être sous-estimée dès lors que l'on ait pour ambition d'être le meilleur, en raison de l'effet de levier que cela permet sur le plan du mental. Il en va d'ailleurs de même avec le choix de son avatar, voire même avec le choix de son pseudo (bien que de façon plus infime)... mais ceci fera l'objet d'un autre article un jour prochain. Quoi qu'il en soit, je suis intimement persuadé qu'en matière de poker en ligne, le chat constitue bel et bien une arme de destruction massive pour ceux qui savent l'utiliser : joueurs, mais aussi opérateurs...







2 commentaires:

  1. Longue et belle analyse des intérêts multiples du chat, malheureusement je trouve qu'il y a de moins en moins de joueurs qui lisent et participent au chat en dehors des tournois communautaires bien sûr. C'est dommage, cela enlève encore un peu plus de piment au poker made in .fr :(

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  2. Joli billet je vais me mettre à utiliser un peu plus le chat =)

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