Translate

lundi 15 juillet 2013

Irruption de la technologie dans le monde de la compétition

Logo du Tour de France 2013
Juillet, c'est le mois du Tour de France cycliste. Depuis mon enfance, j'ai toujours été un vrai fan de cet événement estival. Il existe selon moi beaucoup de similitudes entre le fait de jouer au poker et le fait de pratiquer un sport de compétition. En cette année 2013, on célèbre la centième édition du Tour de France, cette vénérable compétition. Et puisque je suis quelqu'un qui aime raisonner par analogie, je vais tenter un parallèle audacieux entre le cyclisme et le poker. Car je suis convaincu que grâce aux métaphores et aux comparaisons, il devient souvent beaucoup plus aisé d'expliquer des concepts pourtant parfois relativement abscons.


Le petit monde du cyclisme a connu lors de ces dernières années un changement profond dans sa structure qui a révolutionné la façon de courir. Je parle non pas du dopage, mais bien de l'oreillette. Grâce à l'irruption de la technologie, les coureurs cyclistes sont en permanence informés de l'état de la course par leur directeur sportif, qui suit le déroulement de l'épreuve depuis son véhicule équipé de la radio, d'un ordinateur de bord embarqué, d'un GPS, d'un poste de télévision et de quelques autres gadgets technologiques du même acabit. Grâce à cela, les adversaires d'un coureur sont ainsi facilement marqués à la culotte en continu car scrutés par des multitudes de paires d'yeux, et l'information est relayée quasi-instantanément par les directeurs sportifs, puisque les moindres faits et gestes des rivaux sont épiés et aussitôt annoncés aux coureurs de l'équipe.

Bradley Wiggins & Chris Froome - Tour de France 2012
Officiellement, le but premier de l'oreillette est de prévenir les coureurs des dangers (signalement des terre-pleins, signalement des dos-d'ânes, resserrement de la chaussée, meilleure gestion des ravitaillements, etc.). En vérité, L'oreillette est essentiellement un instrument d'information et d'optimisation tactique des directeurs sportifs, qui abreuvent les coureurs de leur équipe d'informations de course mais aussi et surtout d'informations relatives aux rivaux adverses et à la tactique à employer. L'argument accessoire (la sécurité des coureurs) est mis ainsi en avant au détriment de l'argument principal moins glorieux qui consiste donc pour un directeur sportif à pouvoir téléguider les coureurs de son équipe, comme de vulgaires pantins que l'on articulerait selon son bon vouloir. Et pendant la course, force est de constater que le recours systématique à la technologie par les coureurs cyclistes professionnels produit des effets négatifs du point de vue du spectacle : Il n'y a plus de prime à la roublardise pour les coureurs, et la course est sensiblement plus stéréotypée qu'avant. L'audace et l'effet de surprise sont rendus plus difficiles. C'est la prime à la métronomie et à l'optimisation de la gestion de l'effort.

De la même manière, au poker les logiciels d'assistance – communément appelés trackers – sont avant tout présentés comme un outil de suivi personnel de son évolution et de sa progression. Mais derrière cet argument gentillet se cache une seconde vérité bien plus crue : il s'agit avant tout d'un outil destiné à épier et analyser les faits et gestes de ses adversaires afin d'en tirer le meilleur parti. En conséquence, les joueurs qui en font usage jouent leur poker de façon moins naturelle qu'ils ne le feraient s'ils en étaient dépourvus. Mais dans une écrasante majorité des cas, cela va les aider à optimiser leurs choix. J'ai déjà dit que le poker était un jeu d'informations avant toute chose. Les informations fournies par un logiciel d'assistance (tracker) sont de nature à faire pencher la balance lors de certaines prises de décision du joueur. De ce fait, prétendre aujourd'hui vouloir être au top de la discipline sans faire usage de la technologie, c'est se priver de certaines informations. Sachant que toute information est potentiellement importante, se priver de tracker revient à se constituer délibérément un handicap. En ayant recours à cette assistance technologique, on y perd en liberté, en créativité, en spontanéité et en adrénaline. Mais je considère que se priver délibérément de cet outil d'analyse constitue désormais un handicap trop sérieux pour être délaissé.

De la même manière qu'il apparaît aujourd'hui impossible pour une équipe cycliste de se priver d'oreillettes pendant une course alors que d'autres équipes en disposeraient (sauf à délaisser toute ambition sérieuse de victoire), il en va de même avec le poker : ceux qui n'ont pas de logiciel de suivi peuvent faire une croix sur toute ambition d'optimisation quant à leur prise de décision dans les coups joués face à tel ou tel adversaire. Sur le long terme, ils se retrouvent donc lourdement pénalisés.

Tout récemment, certaines plate-formes de poker ont imaginé une astuce pour limiter l'écart de niveau induit par ceux qui font usage d'un tracker par rapport aux joueurs qui en sont dépourvus : les tables « anonymes ». Un joueur qui débarque à une table se retrouve affublé d'un numéro provisoire en lieu et place d'un habituel pseudo décoré d'un avatar, afin qu'il ne soit pas reconnu par les bases de données des trackers, permettant ainsi de lisser les écarts entre les joueurs équipés et les joueurs purement récréatifs. Cette solution me paraît faussement bonne. Pour la simple et bonne raison qu'elle risque de rebuter plus que d'attirer. C'est comme si on habillait d'un noir uniforme tous les coureurs cyclistes afin qu'ils ne puissent pas être aisément reconnus par les directeurs sportifs adverses lorsqu'il y a des attaques, des chutes, des bordures, des défaillances. Pour le spectacle offert, le remède proposé au grand public est encore pire que le mal ! Peu d'amateurs éclairés y trouveraient au final leur compte. Car le joueur de poker est orgueilleux : il aime défier tel ou tel adversaire, prendre sa revanche sur un adversaire précis lorsqu'il a perdu des jetons, et continuer à écrabouiller des joueurs sur lesquels il croit avoir pris un ascendant psychologique.

Dans de telles conditions, on peut de prime abord se demander pourquoi aucune plate-forme de poker à ce jour ne propose le suivi statistique pour tous, avec un outil statistique simple d'usage qui serait consultable à loisir par tous les joueurs à n'importe quel moment de la partie. D'une certaine manière, tout le monde serait enfin à armes égales, chacun disposant de ces informations supplémentaires. Cela rassurerait de nombreux joueurs quant à l'égalité des chances en termes d'accès à l'information. Sauf qu'il y aurait un revers de la médaille. D'une part, trop d'info tue l'info, et certains joueurs de poker ne voudraient ou ne sauraient jamais utiliser à bon escient un logiciel de tracking. Mais aussi et surtout, cette solution simpliste mettrait aussi en évidence une cruelle réalité : pour de nombreux joueurs, ce serait la douche froide car ils pourraient alors se rendre compte de façon criante de la faiblesse de leur niveau de jeu. Et pourraient décider de fuir définitivement le poker. Toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à dire. Enfin, tout ceci n'est que spéculation et je trouve néanmoins que l'idée mériterait d'être creusée, voire exploitée, surtout au sein d'une plate-forme générant peu de trafic et avide de conquérir des parts de marché en se positionnant sur un créneau original.

En poussant l'analogie entre le poker et le cyclisme jusqu'au bout pour cette idée précise, je me dis que pour rétablir un soupçon du panache d'antan dans les courses cyclistes, il serait possible de faire perdurer le système des oreillettes, en le tolérant uniquement par le biais d'informations qui seraient relayées par un commentateur « neutre » et non pas par les directeurs sportifs. De telle sorte que le principe de sécurité des coureurs continuerait à être respecté sans pour autant qu'il y ait téléguidage des coureurs du peloton par leurs directeurs sportifs respectifs. Car les réticences sont extrêmement fortes au sein du peloton, surtout chez les coureurs avides de performances optimisées et soucieux de réduire autant que possible la part d'aléa. L'interdiction pure et simple de l'oreillette au sein des pelotons cyclistes sera peut-être prochainement mise en place en dépit des réticences du peloton. La décision de principe a été prise par l'UCI le 16 juin 2012, mais son application ne surviendra pas avant 2014. Mais cette décision ne tient qu'à un fil, si j'ose dire : il faut impérativement que les hautes instances du cyclisme se montrent fermes face à la grogne actuelle et à la fronde des directeurs sportifs et des coureurs professionnels qui ne veulent pas en démordre et font tout leur possible pour entraver l'interdiction de l'oreillette au sein des pelotons. Mais le paradoxe, c'est que cette interdiction sera à coup sûr une bonne chose pour le cyclisme, car n'en doutons pas : l'usage de l'oreillette tue le spectacle et rend les courses cyclistes ennuyeuses à regarder à la télévision. Moins de spectacle génère moins d'audience. Et moins d'audience génère moins d'investissements financiers de la part des sponsors (déjà considérablement échaudés par toutes les affaires de dopage révélées au grand jour depuis le début des années 1990).

On le voit, il ne semble pas qu'il y ait aujourd'hui de solution « parfaite » au problème induit par la prépondérance technologique, puisque cette irruption de la technologie a maintenant modifié de façon substantielle (voire irréversible) la façon de courir chez les cyclistes professionnels, tout comme cela a modifié substantiellement la façon de pratiquer le poker en ligne. Que cela nous plaise ou non. Et il apparaît donc comme assez illusoire de vouloir lutter contre cela en invoquant des arguments fondés sur la nostalgie et sur la perte de spontanéité dans la façon de jouer, quand bien même je fasse partie moi-même du camp des nostalgiques. Mais je suis avant tout pragmatique et je considère qu'il faut pouvoir avoir des armes affûtées pour vaincre les plus redoutables adversaires. Surtout qu'eux, ils n'ont pas le moindre état d'âme.

Si l'interdiction de l'oreillette est pour bientôt dans le cyclisme, l'interdiction pure et simple des trackers dans le monde du poker en ligne risque d'être rendue extrêmement difficile à mettre en place sur le plan pratique, car il est à redouter que des petits malins et des gens sans scrupules parviennent aisément à contourner d'éventuelles barrières légales qui seraient ainsi érigées (c'est d'ailleurs déjà le cas pour certains logiciels illégaux qui vont puiser les informations dans une gigantesque base de données mutualisée). De toute manière, le sujet ne semble pas constituer actuellement une priorité au yeux de l'ARJEL (l'Autorité de Régulation des Jeux En Ligne). De ce fait, il va me falloir continuer à intégrer le paramètre « tracker » dans mes équations pokeristiques. Et ce, pendant longtemps encore...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire