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dimanche 12 mai 2013

La maison du Bluff 2013 : récit d'une flagrante injustice

Partout où l'homme met de l'argent dans un pot commun en vue d'une redistribution ultérieure de ces sommes selon un barème précis, il y a risque de fraude. Et pour limiter ces fraudes, il faut une institution forte, qui sanctionne lourdement les fautifs. Sinon c'est la porte ouverte à tous les abus. A titre personnel, je suis favorable aux systèmes redistributifs, car ils ont un effet vertueux. Toutefois, je suis aussi partisan d'une extrême fermeté envers les tricheurs et les brebis galeuses. C'est ma façon de penser, mais je sais que malheureusement dans le monde qui est le notre, c'est loin d'être la norme, car j'ai l'impression que les institutions se délitent plus souvent qu'elles ne se renforcent.

Or donc, qui dit cagnotte à distribuer dit également arrivée de profiteurs prêts à frauder. Ce qui vaut pour les prestations sociales perçues frauduleusement vaut également pour le sport (dopage, paris truqués, etc.), la finance (délits d'initié, paradis fiscaux et autres...) ainsi que pour le jeu (collusion, triche...)

Le poker n'échappe pas à cette constante propre à l'être humain. J'aurais même tendance à penser qu'il attire un nombre assez conséquent de tricheurs potentiels. Force est de constater que le poker est loin d'être un sport noble. C'est même tout le contraire...

Une partie des joueurs est mue par un sentiment d'orgueil et de cupidité. Le tout mâtiné d'une totale absence de morale. L'orgueil les pousse à considérer qu'ils sont plus doués et/ou plus malins que les autres et qu'à ce titre ils ne méritent jamais de perdre. La cupidité et l'appât du gain leur ôte tout discernement. Enfin, la notion de bien et de mal étant étiolée par l'orgueil et la cupidité, une absence de morale s'installe insidieusement en eux et justifie à leurs yeux le franchissement de la frontière entre ce qui est permis et ce qui ne l'est pas.

Logo La Maison du BluffJ'en ai eu une flagrante illustration cette nuit, alors que je regardais la table finale de l'émission de télé-réalité sur le poker "La maison du bluff - saison 3". Je n'avais pas regardé les deux premières saisons les années précédentes, mais, là, je me suis passionné pour cette émission (avec l'oeil de l'ethnologue pour observer les comportements humains en milieu confimé et avec l'oeil du débutant au poker avide de progresser). Et petit détail croustillant : la croupière de "la maison du bluff" est l'une des croupière que j'avais eue lors de la PSG poker live du mois de mars. Elle m'avait même donné une paire d'as !!

Table finale du 11 mai 2013 : Tony-Sebastien-Sarah-Koraly-Matthieu-Melanie
Parmi les six finalistes, cinq d'entre eux ont participé à l'émission de bout en bout, pensionnaires de "la maison du bluff" depuis le premier jour, et ayant bouffé du poker 24 heures par jour pendant plus de cinq semaines. Il est à noter que ces cinq personnes ont intégré l'émission sur casting. Certains étaient doués pour le poker. D'autres pas du tout. Mais cinq semaines intensives de poker enfermés dans la maison du bluff, une très belle villa portugaise, à Olhao, en Algarve, ont conféré à tous un certain niveau (allant de correct à très bon). La sixième et dernière finaliste était une qualifiée sur Internet (via le site Pokerstars.fr) qui a rejoint l'émission le dernier jour, à la veille de la finale. Tous les autres candidats qualifiés sur internet ont été évincés au fur et à mesure que l'émission avançait, au rythme des tables éliminatoires hebdomadaires. Or donc, cette dernière qualifiée pour la table finale, une jeune fille fraîche et innocente de 20 ans répondant au prénom de Mélanie, débutante au poker, n'ayant jamais joué de sa vie sur une table live débarque à la table. On peut s'attendre au pire. Les autres candidats la sous-estiment et la communauté de poker online la prend pour une cruche, une idiote, un fish, et lui prédit la plus atroce et la plus rapide des morts à la table finale. Personnellement, je sais qu'au poker tout est possible et que les débutants sont parfois les joueurs parmi les plus dangereux. Je me surprends à secrètement souhaiter sa victoire là où toute la communauté du poker la conspue avant même qu'elle ait joué un seul coup à la table. Je vois en cette demoiselle un bon vaccin contre l'orgueil démesuré de beaucoup de joueurs de poker. Avec sa fraîcheur, sa candeur, son style de jeu non académique et surtout avec cette arme terrible qu'est l'imprévisibilité du jeu des débutants (cf mon précédent article sur les différents styles de jeu), je considère qu'elle a sa chance.

 

Et force est de constater que les conditions du miracle pour la jeune Mélanie se mettent peu à peu en place. N'ayant intégré la maison du bluff qu'en toute fin de jeu, elle démarre pourtant avec beaucoup moins de jetons que les autres candidats. Mais elle ne se laisse pas démonter. Bien au contraire, elle adopte une posture agressive dans le bon sens du terme. En dépit de quelques erreurs techniques, elle se démène comme une diablesse. Et ses regards acérés et appuyés désarçonnent toute la tablée. Elle ne se cache pas derrière des lunettes de soleil ni des sweat shirt à capuche. Si bien que je ne suis pas surpris de voir que Mélanie est toujours là lorsqu'un premier candidat est éliminé. Puis un second. Puis un troisième. Et alors qu'ils ne sont plus que trois candidats, Mélanie est chip leader à la table avec une avance en jetons assez confortable sur les deux autres. De surcroît, ses deux adversaires, pourtant aguerris, sont littéralement sonnés, groggis par son punch et ses incessantes relances. A ce moment précis de la partie, Mélanie est partie pour gagner. Psychologiquement, elle a déjà gagné et seule une mauvaise rencontre ou une déconcentration de dernière minute peut stopper son élan. Et c'est à cet instant que le drame va se jouer....

Le coup bas. La triche. Alors que Matthieu (futur vainqueur) est quasi mort et qu'il s'apprête à jeter une main suite à une énième relance massue de Mélanie au turn, il retourne ses cartes et les montre à la pauvre Mélanie. Cette dernière, jouant pour la première fois en live, au bout de quelques secondes de blanc et ne sachant que faire, croyant que Matthieu abandonne le coup lui montre sa main en retour. Et c'est là que voyant que la main de Mélanie est moins bonne que la sienne, il lui dit : "Mais j'ai pas encore parlé. All-in." La croupière ne réagit pas et autorise de facto cette manoeuvre. La pauvre Mélanie se retrouve piégée. Et aucun miracle ne se produit à la river pour rétablir une justice.

La pauvre Mélanie n'a rien compris. Matthieu a profité d'un obscur point de règlement. Cinq semaines de pratique intensive de poker et ce type n'a rien trouvé de mieux pour gagner que de sortir un coup de vice pareil. C'est petit. C'est faible. C'est ignoble. Quelques minutes plus tard, Mélanie est éliminée. Et une demi heure plus tard, Matthieu remporte la tête à tête final contre le dernier adversaire en lice, Sébastien.

Cela pourrait presque prêter à sourire, cette histoire. Sauf que la prime pour le vainqueur est de 100 000 euros. Cent mille euros !!! Et que le troisième n'a que ses larmes pour pleurer et repart les mains vides.

Matthieu n'était pas une mauvaise personne. Mais il a lourdement fauté. Il a pêché par orgueil en sous-estimant son adversaire au début. Il a pêché par cupidité, appâté par la proximité du gain, en allant jusqu'à la limite de la triche, reniant sa morale et salissant son image pour éliminer la débutante. Le voilà avec un compte en banque sensiblement augmenté et un contrat de sponsoring PokerStars en poche. Mais il a terni son image.

Tout comme il a terni l'image de PokerStars. Car il aurait fallu un règlement un peu moins sournois. Dans toute société humaine, le devoir des puissants est de protéger les humbles de la trop grande appétence des plus cupides. Sur ce plan, PokerStars a failli.

Enfin, la communauté des passionnés de poker (chat, forum) ne ressort pas non plus grandie de cet incident. Car les commentaires des fans se résument le plus souvent à des moqueries envers la pauvre Mélanie. Pourtant, elle a éliminé online 2 000 personnes pour en arriver là, accomplissant ce qu'eux ont été incapables de faire. Pourtant, elle aurait probablement gagné, sans cet incident. Je trouve que railler et conspuer de la sorte les débutants, c'est un signe d'immaturité et de médiocrité. Cela m'apprend une chose importante : bon nombre de fanatiques du poker sont bouffis d'orgueil. Et ça, c'est un vrai signe de faiblesse.

Pour toutes ces raisons, je tâcherai de toujours rester humble au poker. Quelles que soient les circonstances et mes performances. Car l'humilité est un solide rempart contre la médiocrité et la cupidité. Parfois, je me dis que le poker constitue une formidable école de la vie...


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